L'informatique professionnelle dépassée par les innovations grand public ?
24 juin 2007
L’informatique est omniprésente dans la vie quotidienne et personne ne le sait. Les jeunes qui téléphonent, jouent sur leur dernière PS3, chatent, écoutent de la musique sur leur iPod, piratent "naturellement" les films ou les produisent pour impressionner leurs copains sur YouTube n'ont certainement pas la sensation de "faire de l'informatique". Les passionnés qui tournent des films vidéo ou simplement accumulent sur leur disque dur les photos numériques de vacances ne se reconnaissent pas comme des utilisateurs informatiques. Chaque foyer occidental, et dans les zones les plus avancées de la Chine, de l'Inde ou du Brésil, détient maintenant une vingtaine d'objets électroniques servant à produire, stocker, échanger des informations numériques. Et le monde professionel leur paraît terne par rapport à cette palette chatoyante!
Cette réalité bien installée, qui conduit les terriens de tous les pays à communiquer sous forme numérique tout en ignorant les prouesses techniques qui ont rendu ces gestes si simples et si économiques, bouleverse la perception de l'informatique. Si les outils qui accompagnent les gestes quotidiens ne sont pas perçus comme des "objets informatiques", l'informatique d'entreprise se trouve à nouveau cantonnée dans le cénacle limité des professionnels de l'informatique. Or l'innovation ne se développe plus assez vite dans ce monde et l'ignore ou le contourne ce qui conduit tous les professionnels désormais à poser de sérieuses questions sur leur rôle et leur avenir face à l'invasion de ces outils qui tout ou tard vont "contaminer" le monde des entreprises.
Si tous les acteurs sont concernés par cette révolution, qui va changer leur rôle, elle n’est évidemment pas sans incidence sur la mission et l’image du directeur des systèmes d’information qui incarne depuis trente ans la légitimité de l’informatique professionnelle en entreprise.
Aujourd’hui la surprise, le rythme et l’innovation proviennent de l’informatique grand public, qui poussée par l’essor du multimedia et du web, offre un visage avenant et sans cesse renouvelé d’une informatique conviviale et désirée. Ce visage, ce sont les jeunes de la génération Y qui vont le propager en entreprise. Pour eux, Google Apps ou le pingouin Linux sont infiniment plus cool que SAP ou Microsoft, soudain frappés de vieillissement prématuré !
L’informatique professionnelle, en revanche, porte le poids de son passé, tant dans ses infrastructures que dans les applications qu’elle exploite, et doit composer avec de lourdes contraintes économiques et techniques, telles que la fiabilité et la sécurité. Elle ne peut pas évoluer à la même vitesse et apparaît nécessairement au client exigeant comme décalée par rapport aux standards du moment. Elle n’est plus un sujet d’étonnement scientifique, mais peut devenir un objet d’insatisfaction périodique. L’informatique professionnelle a perdu en maniabilité ce qu’elle a gagné en profondeur, car elle est incontournable dans tous les métiers et son impact est tout à fait reconnu. Mais elle est désormais condamnée à l’excellence tant le bon fonctionnement des systèmes d’information et leur évolution raisonnée à travers l’innovation fonctionnelle et technologique revêtent un caractère critique au cœur de la performance. Plus encore, elle doit devenir sexy !
Le DSI est donc contraint de pratiquer avec souplesse le grand écart : apporter un niveau de service sans cesse plus fiable et plus économique, en garantissant la cohérence, la continuité et la sécurité des systèmes d’information de l’entreprise, et répondre de façon pertinente aux sollicitations d’utilisateurs de plus en plus consommateurs, tentés par les charmes d’une informatique nomade, légère et séduisante.
Sur le cœur même de son métier, il doit satisfaire aux besoins contradictoires de standardisation qui, seule, garantit la maîtrise des coûts et de la qualité de service et de différenciation pour intégrer les besoins d’un marché de plus en plus versatile. Enfin, responsable de personnel, il doit développer les compétences internes pour enrichir sans cesse son offre et entretenir la motivation tout en composant avec les pressions des directions générales et du marché en faveur de l’externalisation et de l’offshore.
C’est donc un métier plus que jamais composite où se mêlent, chaque jour, le détail et la stratégie, le très court terme et le long terme, la maîtrise technique comme le sens de la communication et de la négociation. Le DSI doit sans cesse arbitrer entre ces différents horizons de temps et d’espace et tirer parti de chaque composante de sa culture professionnelle.
En professionnel, le DSI sait qu’il doit desserrer cet étau de contraintes pour créer une dynamique de performance où l’excellence opérationnelle et la vision stratégique ne s’opposent pas mais se renforcent.
Il dispose pour cela d’une palette d’outils et de solutions qu’il doit, avec son équipe, gérer avec discernement en parfaite transparence. La gouvernance des systèmes d’information apporte désormais un cadre global de références et de métriques sur lequel le DSI peut s’appuyer pour construire l’articulation entre la vision d’ensemble et sa déclinaison opérationnelle.
L’informatique, pour d’obscures raisons de technicité et de langage a pu longtemps échapper aux règles de contrôle courantes dans toutes les fonctions de l’entreprise. Cette situation n’est évidemment plus acceptable. Les DSI l’ont compris et ont engagé une véritable rupture, la gouvernance imposant une discipline collective fondée sur le partage d’outils d’analyse, de décision et d’action qui ne peut que servir la fonction
La construction d’une vision stratégique des relations entre la finalité de l’entreprise et les systèmes d’information est devenue une composante clef du métier de DSI. La gouvernance répond à une exigeance de clarification des relations entre acteurs et de transparence des décisions. Ce souci émane bien sûr des directions générales qui souhaitent être rassurées quant à la bonne exploitation des ressources de l’entreprise. Les directions utilisatrices et les informaticiens en attendent également les conditions d’un dialogue serein sur l’évaluation des performances et la recherche d’une meilleure efficacité.
Le DSI, visionnaire et organisateur, partenaire des métiers et gestionnaire des services au quotidien, a besoin de soutien pour remplir ces missions difficiles.
La gestion des interactions au sein de l’entreprise devient désormais un sujet beaucoup plus central que le seul choix des fournisseurs ou des techniques, où il excelle par construction. L’urbanisation et la gouvernance sont indispensables pour clarifier les enjeux, mais ne doivent pas se limiter à être de simples techniques. C’est pourquoi le DSI doit acquérir cette densité émotionnelle que la technique ne développe pas spontanément pour être mieux armé et donc plus efficace. La culture socio-technique du DSI le situe plus généralement dans un monde rationnel, les problèmes ne pouvant être résolus que par une approche logique. Il ignore trop souvent la force des procédures molles et des enjeux de pouvoir. Aussi, pour être un agent de changement reconnu, il doit mieux communiquer, être attentif aux interactions, développer les solidarités et rendre l’informatique non seulement indispensable mais aussi désirable aux yeux des dirigeants comme à ceux des utilisateurs.
C’est pourquoi, loin de devenir obsolète, ce métier, renouvelé et dynamisé dans une logique d’entreprise étendue, reste irremplaçable pour garantir aux entreprises le meilleur usage des technologies de l’information, de la communication et de la connaissance.
PS : pour une vision renouvelée du débat, je vous invite à visiter le blog de Chris Anderson, consacré à l'analyse du phénomène "long tail", sur lequel il illustre les évolutions majeures de la relation entre informatique grand public, celle qui fait plaisir dans la vie quotidienne, et informatique professionnelle, celle qiu dit toujours "non" ! A lire notamment cet article "qui a encore besoin d'un DSI ?" dont voici un extrait !
"the next wave of workers, who come from Gen Y and are also referred to as Millenials. The gestalt of the Millenials (a.k.a., the "I'm special" generation) is that they grew up with a boundless sense of self-importance, always have had the Internet, love to share digital content, need to be constantly challenged, want high-level responsibilities immediately, expect a work-life balance with telecommuting options, and will go around IT practices and policies without hesitation."
ttp://www.longtail.com/the_long_tail/2007/02/who_needs_a_cio.html