Vivre avec son blog
17 décembre 2006
Rencontré lors de la remise du prix du DSI de l’année, le 14 décembre, mon ami Louis Naugès, qui jette sur le monde des technologies de l’information un regard aussi passionné que féroce, me faisait gentiment remarquer que mon blog ne bougeait pas assez vite, en soulignant qu’un blog lent était un blog mort ! Cette apostrophe m’a fait réagir, et j’ai esquissé ma défense en mettant en avant le manque de temps, le conflit entre priorités, justifiés par ma récente prise de fonction dans un nouveau métier et un nouvel environnement de travail. Bref, beaucoup d’arguments justes, certainement, mais qui sur le fond ne démentaient pas la pertinence de sa remarque.
Après cet échange, piqué au vif, j’ai cherché à rassembler mes idées sur le blog après un peu plus d’une année de pratique de cet exercice. Il est vrai que je ne suis pas tendre non plus envers ceux qui prétextent du manque de temps pour expliquer leurs relations douloureuses avec l’apprentissage et l’utilisation des technologies de l’information. Il paraît tellement évident que nous sommes tous conduits à utiliser de façon permanente ces outils que la technologie nous a fabriqués. Ceux qui restent l’écart de cet irrésistible mouvement paraissent d’obstinés conservateurs, hors du temps, condamnés à rester en marge de la société moderne comme ceux qui n’ont jamais réussi à obtenir leur permis de conduire.
Quand nous voyons les jeunes adultes et encore plus les adolescents jongler entre le chat, Skype, l’iPod, leur téléphone portable , surfer sur internet pour faire du copier/coller dans leur traitement de texte ( Open Office plutôt que Word, trop daté et trop monopolistique), tout en téléchargeant le dernier James Bond en DivX, on est fasciné par leur aptitude à jongler avec ces outils. Cependant on reste dubitatif sur leur capacité à faire un tri un peu organisé entre tous ces media et tous ces messages, et ce doute fugace nous donne un coup de vieux, nous qui avons été en tête de tous les combats pour le numérique !
Rappelons que notre monde est désormais classé en trois tribus, les « analogistes » décidemment irréductibles et qui en sont restés sans aucun doute au transistor et à la première chaîne en 819 lignes, « les immigrants numériques » qui sont les nombreuses générations née avant 1990 ( il fallait au moins avoir cinq ans pour entrer nativement dans l’internet), mais qui ont fait l’effort de comprendre la souris, les menus déroulants et la magie du numérique, et enfin les seigneurs de demain, ces mutants inquiétants que sont les « numériques natifs » qui ne peuvent communiquer à deux mètres sans s’envoyer un SMS pour se demander « t ou » avant de se ruer sur le premier micro ouvert pour chater.
Alors, ne pas mettre à jour mon blog à chaque nouvelle impulsion de l’actualité me conduirait à quitter le statut précaire d’immigrant numérique pour rejoindre en fait une nouvelle sous-couche, les « innovateurs numériques prématurément lassés », les INPL, presque taxé de néo- analogiste !
Je reprends mes classiques en rappelant que communiquer est un verbe transitif. On communique quelque chose à quelqu’un ! Un blog, comme un site web, mais en plus facile, est un moyen pour communiquer à un interlocuteur un message, qui peut-être informatif, pratique, culturel, affectif, académique, ou simplement exhibitionniste. Il faut avoir envie de faire partager à ces anonymes qui vous épient sans l’obscurité du web un message qui vous paraît important car il peut les intéresser, les aider à comprendre, leur donner une information utile. C’est un moyen d’influencer l’opinion du petit cercle de vos lecteurs, accessible facilement et de façon peu coûteuse, en cassant ainsi le monopole de ces grands supports d’influence que sont la télévision, la presse écrite et la radio. Autour de vos convictions, vous pouvez séduire, rassembler, et faire naître un courant d’intérêt, un dialogue qui rebondit et permet d’affiner la pensée, d’échanger et de créer un peu plus de sens. Cela peut être aussi tout simplement une moderne bouteille à la mer, moyen sans danger de partager ses sentiments et ses passions de façon d’autant plus impudique que les blogs anonymes permettent de nouer des relations entre anonymes. Ces assidus du blog sont nombreux puisque selon des sources diverses, et contradictoires, il y aurait en France entre 3 et 5 millions de blogueurs, un tiers des blogueurs européens.
Dans tous les cas, quelque soit la motivation initiale, un blog est un travail, il représente un effort d’écriture, de collecte d’informations, de mise en forme rapidement chronophage. Entretenir un blog même si le contenu peut paraître futile est un exercice régulier de concentration et d’écriture qui d’une manière ou d’une autre expose et rend responsable. Quand on cherche à faire un exercice rigoureux sur des sujets de fond, engageant dans le temps – la mémoire du blog est terrible ! – on est obligé de mettre beaucoup de soin dans la cohérence de la pensée et la qualité des informations.
Pour moi, le blog, c’est à la fois un article, un livre, une dissertation, une conversation. Aussi la vitalité d’un blog ne s’exprime pas seulement par le flux de nouveauté, mais également par la robustesse et la pérennité de son propos. Il ne s’agit pas de réagir à l’événement comme le font les agences relayées par les multiples support de presse. Il faut laisser justement le champ de l’instant à la presse. Le blog peut s’autoriser une prise de distance par rapport à l’événement, et donc avancer plus lentement pour faire émerger des réflexions plus matures.
L’immense mérite de cette technique par rapport à celles qui l’ont précédé – notamment la correspondance littéraire destinée à être publiée – est la rapidité et le champ potentiellement infini de diffusion au sein du milliard d’internautes. Mais le support ne doit pas céder le pas au contenu au risque de lasser et de générer ses propres toxines. Ce qui est superbe, au fond, c’est que chacun peut faire comme il le souhaite. Et cette nouvelle liberté est le principal cadeau que nous fait la technologie !
Continuez.
Rédigé par : Vincent | 18 décembre 2006 à 09:26
un blog lent n'est pas un blog mort s'il est de qualité (et grâce aux flux RSS...)
Rédigé par : Gerald | 18 décembre 2006 à 10:18
Non un blog lent n'est pas un blog mort.
Et oui grâce au rss vos contributions arrivent au lecteur sans qu'il ait à se préoccuper de la fréquence de vos actualisation.
Rédigé par : Fabien | 18 décembre 2006 à 16:44
Merci de vos commentaires. Je pense qu'effectivement le mode push permet de maintenir l'intérêt des lecteurs... Et puis on fait comme on le sent, non ? Sinon si un blog devient une corvée, cela n'a plus guère de sens...
Rédigé par : jp.corniou | 18 décembre 2006 à 17:18
Un blog lent n'est pas un blog mort ! J'ai aussi un blog sur l'industrie du disque et je n'ai pas tous les jours des choses à dire ou à publier. Il faut faire attention à la tentation de parler sans fin pour finir par ne plus rien dire d'intéressant. Beaucoup de bloggeurs parlent pour ne rien dire et parlent dans le vide digitale en ayant l'impression d'exister, mais personne ne les lit !
Rédigé par : Henri | 18 décembre 2006 à 21:04
Je partage les avis sur les blogs lents, d'autant plus que j'entends souvent le meme commentaire ... pour moi un blog est un "banc d'essai à idées", et je partage également l'avis de Jean-Pierre : l'effet mémoire est crucial et il impose de réfléchir à ce que l'on va écrire (ce qui va dans le sens du respect du lecteur :)). Avec un blog qui vit encore plus lentement (2 messages par mois), je fais un bilan très positif au bout de 18 mois, en terme de contacts et d'échange. Bien sur, avec un sujet pointu et une production lente, ce sont également des échanges lents :)
Je suis également un lecteur de blog (dont celui de Jean-Pierre) "basse fréquence" (peu de commentaires et souvent "après la bataille") mais cela ne m'empêche pas d'y trouver beaucoup d'intérêt.
-- Yves
Rédigé par : Yves Caseau | 23 décembre 2006 à 08:49
Merci, Jean-Pierre d'avoir réagi à ma boutade et d'avoir repris la "plume" blog.
Un blog lent est un blog mort : tout est dans la définition que l'on donne à lent. De mon coté, en 8 mois, j'ai publié une moyenne de huit textes par mois.
Je partage le point de vue de Yves Caseau et d'autres ; la lenteur n'est pas un défaut et le RSS permet de ne pas rater un texte publié par un blogueur que l'on estime.
Quel est le rythme minimum pour écrire sur un blog ? Ce média éxige, à mon avis, un ou deux nouveaux textes par mois pour se maintenir en vie !
J'espère simplement, Jean-Pierre, que tu trouveras les heures nécessaires pour continuer à écrire ; rares sont les blogs publiés par des personnes qui respectent autant la langue française tout en parlant de technologie !
Bonne année de blogs 2007
Rédigé par : Louis Nauges | 26 décembre 2006 à 08:48
Merci Louis et Yves, et les autres que je ne connais pas, pour vos commentaires... Un blog, c'est tout sauf la pensée unique pré-digérée. Continuons à travailler tous ensemble - à notre rythme !- pour que l'année 2007 permette à notre pays de prendre conscience avec force et détemination que les TIC sont un vrai levier de changement dans tous les secteurs de la société ! Il y a fort à faire pour s'y mettre réellement c'est à dire avec méthode et lucidité.
Rédigé par : jpcorniou | 28 décembre 2006 à 16:43
Cet article est la plus belle définition du blog que j'ai lue ! La plus positive aussi, car nul doute qu'il faille privilégier la qualité à la quantité... Aussi, au risque de flirter avec la contradiction, je me vois impatiente de vous lire à nouveau !
Rédigé par : Marie | 27 janvier 2007 à 20:31