La fin du monde "broadcast"
20 novembre 2006
Il n’a pas fallu attendre l’invention de la radio, puis de la télévision, pour découvrir le pouvoir magique de l’information unilatérale, celle émise par un acteur politique, religieux ou économique pour convaincre le « récepteur », c’est à dire tous les autres, de la justesse de ses vues ou de l’excellence de ses produits. Le monde « broadcast » se caractérise non seulement par le faible nombre des émetteurs et le grand nombre des récepteurs, mais surtout par la passivité et l’impuissance de ceux-çi, dépourvus de moyens symétriques d’analyse et de réaction. Certes les moyens inventés depuis la fin du XIXe siècle pour rendre la production de messages efficace, rapide, puissante n’ont cessé d’être raffinés. La presse a vu ses tirages décuplés grâce à l’imprimante offset rotative, la radio a rapidement conquis des dizaines de millions d’auditeurs dans les années vingt et joué un rôle majeur dans l’avènement de la publicité, mais aussi de la propagande politique. Quant à la télévision elle s’est installée, conquérante, dans tous les foyers depuis les années cinquante en apportant un bouquet d’images et donc de messages sans cesse plus diversifiés, attractifs et convaincants au point de devenir l’enjeu incontournable de toute ambition de conquête de la notoriété.
Le pouvoir de l’image et du son existait avant les grands medias modernes. Il est à la base de la conquête historique des pouvoirs, longtemps l’apanage des seuls mondes religieux et politique. Le monde « broadcast » s’incarnait alors, à une échelle certes plus modeste, dans les cathédrales, les châteaux forts, les beffrois ou autres clochers, montrant de loin que ceux qui les contrôlaient étaient les maîtres du monde.
Mais la caractéristique majeure de ce monde du broadcast – « one to many » – était la difficulté d’être le seul détenteur du pouvoir d’émettre. L’entrée dans le monde des décideurs et des influenceurs était régie par de multiples contraintes légales et économiques qui rendait le prix du ticket d’entrée, quelque en soit la forme, très élevé. La puissance du monde « broadcast » trouve son origine dans une longue série d’innovations techniques qui ont sans cesse abaissé le coût de production et de diffusion de l’information, mais sans remettre fondamentalement en question les conditions d’accès au pouvoir d’émettre.
Et puis internet est arrivé… Certes ce ne fut qu’une menace modeste dans les premières années, mais très vite une poignée de militants du cybermonde ont compris l’enjeu de ce nouvel outil, et l’ont exprimé, dans des revues comme Wired, souvent ivres d’un rêve messianique qui faisait bien sourire les puissants installés dans la gestion confortable de leurs actifs. L’éclatement prématuré de la bulle internet confirmait que l’alerte était finie… Mais l’édifice était atteint dans ses fondations même. Le « droit d’émettre », savamment protégé pendant tant de siècles, tombait dans le domaine public. C’est le début d’une nouvelle histoire.
Elle sera chaotique, elle créera, aussi, des monopoles – Google encore plus puissant que Microsoft ? - et des exclus, mais cette histoire sera celle du « multicast » - many to many - chacun pouvant désormais donner son point de vue sur tout, et le faire savoir instantanément à tout le monde. Ceci remet en question le rôle de la presse, détentrice du pouvoir officiel d’informer garanti par le statut de journaliste, des hommes politiques, médiateurs officiels entre l’opinion et l’expertise, des savants, remis en cause par la diffusion de l’information scientifique… Le monde économique est aussi remis en question, la publicité et l'information sur les produits, contrôlées par les producteurs dans un monde de dissymétrie offre/demande, sont désormais contre-balancées par le pouvoir de s'informer et d'informer entre "égaux" conquis par les consommateurs à travers la profusion de points de vue d'utilisateurs. La blogsphere se remplir de débats, d’experts « amateurs », de passionnés qui ne sont pas reconnus par un statut officiel mais s'imposent dans le cybermonde par leur compétence et leur pédagogie sur tous les sujets. Et déjà cette profusion d’informations et de connaissances, la plupart du temps désintéressées, apparaît aux internautes comme plus légitime que la pensée officielle, qui inspire doute et méfiance…
Cette inversion des flux du savoir n’est certes pas sans risque, mais c’est un phénomène d’une telle ampleur qu’il faut en décrypter avec soin les causes et les conséquences… A suivre !
J'en profite pour recommander à ceux qui ne l'auraient lu l'excellent livre The Cluetrain Manifesto (les marchés sont des conversations).
Rédigé par : Vincent | 21 novembre 2006 à 08:00
Excellente référence en effet... Voici la référence en français :
http://www.cluetrain.com/manifeste.html
Rédigé par : jpierre.corniou | 21 novembre 2006 à 10:50