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Dell, version 2.0 ?

Si l'industrie des PC est devenue une commodité, la responsabilité en revient clairement à Michael Dell et il la revendique. Ni les actionnaires ni les clients ne pourraient l'en blâmer ! Le personnel non plus d’ailleurs car Dell a à son actif la création de 25000 emplois en deux ans, et la récente création d’une usine en Pologne, avec mille personnes, rassure sur l’avenir industriel de l’Europe dans ce secteur hyper-concurrentiel. Michael Dell lui-même a toutes les raisons de se réjouir de ce parcours qui l'a conduit à devenir en vingt ans la douzième fortune mondiale avec 17,1 milliards $.

Tout irait bien si une série de mauvaises nouvelles n'était pas venir ternir l'image du géant. Le rappel de quatre millions de portables équipés de batteries Sony défectueuses a été mal perçu par le marché. La progression du chiffre d'affaires en août 2006 se ralentit et déçoit les analystes : 15 % contre une prévision de 16 à 18%, croissance jamais démentie par le passé. Le cours de l'action a immédiatement baissé de 11%,

Créee en 1984, cette entreprise a connu un essor considérable pour devenir le leader mondial de cette industrie, avec 18% de part de marché, générer une valeur en capital de 100 milliards de dollars, passer en dix ans de 5 milliards de dollars annuels de chiffres d’affaires à 56 milliards.
Certes, si la recette apparaît aujourd’hui simple - une logistique exceptionnelle, une distribution directe, pas de stock, des produits simples, fiables et sur mesure- il fallait avoir le talent d’imaginer ce système avant les autres, et en faire un modèle que ses compétiteurs essayent d’imiter.

Au moment où Michael Dell semble reprendre les commandes de son entreprise qu’il avait laissées depuis 2004 à Kevin Rollins, nommé CEO, pour passer à l’offensive avec son plan stratégique qu’il a de manière très opportuniste baptisé « Dell 2.0 », les analystes s’interrogent sur la pérennité du « modèle Dell » dans l’informatique au moment où d’autres formes d’accès au système d’information se développent notamment autour de la mobilité. Car le marché du PC, même très concentré avec Dell, HP, Lenovo, Acer et Fujitsu-Siemens qui représentent 50% des ventes en 2005, connaît une compétition féroce sur les marges.

Toutefois le PC a vingt-cinq ans et tient bon. Le marché est toujours en croissance rapide au rythme de 30 millions d'unités de plus chaque année. Il s’en vend encore 230 millions par an (prévision IDC 2006), et les prévisions 2007 sont de 257 miilions, et même si en volume il est largement dépassé par les téléphones mobiles (environ 230 millions par trimestre en 2006), c’est un outil dont on a encore du mal à se passer. Le rêve du client léger - cher notamment à Sun - n'a pas donné naissance à des solutions suffisamment séduisantes pour les grands comptes, alors que l'ouverture vers les solutions multimedia renforce la nécessité de disposer à la maison d'un coeur de système puissant et bien équipé.

La diversification de Dell vers d’autres produits – PDA, téléviseurs, imprimantes – n’est pas un franc succès en dehors des Etats-Unis, et même si les services prennent une part de plus en plus importante dans le chiffre d'affaires de Dell , c'est un secteur aujourd'hui difficile sur le plan de l'exigence qualitative, très concurrentiel et où les marges ont aussi tendance à s'affiner. 79 % des revenus de Dell proviennent de la vente de PC. Or Dell tirait de la vente de chaque unité un revenu de 1830$ en 2002 contre 1500 en 2006. En d'autres termes, pour un revenu constant, il faut vendre 18% d'unités en plus !

Où est donc le potentiel de croissance de l'entreprise ? Quand on est de loin leader d'un marché de plus en plus mature, la croissance profitable devient un exercice difficile. Michael Dell vise, comme tout le monde, le marché domestique, qui ne représente que 15% du chiffre d'affaires, notamment par une remise en cause de son approche produit trop austère et "low cost" et le développement de boutiques de proximité. Il vise aussi à accroître sa présence sur le marché des serveurs et du stockage, amplifé par le développement d'internet et souhaite toujours croître dans les périphériques pour titiller son rival HP dont le succès dans les imprimantes à jet d'encre est le principal moteur de revenus. Il veut aussi ne plus dépendre que du marché américain en consolidant sa position en Europe, et notamment en France où Dell est leader du marché, et croquer sa juste part du gateau asiatique.

Michael Dell reconnaît que l’attractivité de ses produits est à développer notamment par le design, l’ergonomie et l’esthétique, message que Steve Jobs a compris depuis fort longtemps, même s'il est cantonné, pour de multiples raisons, a une situation de niche. Steve Jobs n'est d'ailleurs que 140e au classement Forbes avec seulement 4,4 milliards $ de fortune personnelle !


L'informatique à l'école...

On nous répète sans cesse que, dans notre république, depuis Jules Ferry l’éducation est le moteur de l’ascenseur social. Que la France, pays des lumières, mère des libertés et des droits de l’homme, est un modèle que le monde entier nous envie…
Ne rêvons plus et parlons chiffres, même si cela peut paraître vulgaire ! L’OCDE vient de publier son enquête sur l’école « Regards sur l’éducation » qui devrait être le livre de chevet de tous les candidats à l’élection présidentielle de 2007. Franchement, les chiffres sont mauvais et font mal… En gros, la lourde machine éducative est à la fois peu efficace et peu efficiente : horaires surchargés pour les élèves (10 % de plus que la moyenne des pays de l’OCDE), coûts élevés, sauf dans le supérieur, résultats moyens. Ces données ne sont pas une découverte pour les responsables. Elles devraient susciter un peu d’attention des électeurs. Car l’économie de la connaissance commence à l’école, qui produit les « cerveaux d’œuvre » de demain.

Mais un point particulier m’a mis vraiment en colère : en France le nombre d’ordinateurs pour 100 élèves est encore de 13 contre 30 aux Etats-Unis, 28 en Australie, 27 en Corée du Sud, 23 au Royaume-Uni et en Hongrie, 22 au Canada… seules l’Allemagne et l’Espagne font moins bien que nous, avec 8 ordinateur pour 100 élèves, et il n’y a nulle raison de s’en réjouir.

J’entends déjà les fins analystes expliquer que même si les Etats-Unis ont plus d’ordinateurs, en raison certainement du lobby des constructeurs américains, preuve formelle de la collusion de l’appareil militaro-techno-industriel avec le pouvoir ultra-libéral, ils ne font pas mieux que nous en taux d’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaire. Parlons alors de la Corée du Sud, où le redoublement est inconnu alors que nous en sommes champions du monde, qui a un bien meilleur résultat en mathématiques que les jeunes Français alors que le pourcentage de temps qui est consacré à cette matière y est bien moindre ( 11% contre 15 % en France) et qui dispose de plus de deux fois plus d’ordinateurs… Oui, bien sûr, mais ce sont des Coréens, disciplinés, et sûrement brimés dans leur découverte personnelle des apprentissages. Quid alors de la Finlande, où les enfants, qui travaillent moins également, sont les plus diplômés de l’enseignement supérieur des pays de l’OCDE (avec la Nouvelle-Zélande) et sont également meilleurs en mathématiques ?

Certes ces statistiques ne représentent qu’une piste, il faut compléter par d’autres analyses. Il est un fait que les plans successifs d’introduction de l’informatique à l’école ont tous été des échecs, plus ou moins avoués. Simplement parce que les responsables de ces politiques, souvent compétents et militants du développement des technologies de l’information, n’ont pas été compris ni par les ministres de l’éducation et les inspecteurs généraux qui font les programmes, ni par les élus qui financent les équipements. Parce qu’un ordinateur dont l’usage n’est pas inséré dans les programmes ne sert à rien. Parce qu’un ordinateur (qui marche) pour 10 enfants est inexploitable pour l’enseignant. Parce qu’un ordinateur qui n’est pas dans la classe reste un objet exotique comme le fut, avec le même succès, la télévision scolaire, alors qu’il devrait être au appui familier à chacun, notamment à ceux qui ont besoin de soutien scolaire. Quels sont les résultats réels de l’initiative, prise en 2000 avec beaucoup de bonnes intentions, de faire passer le brevet informatique et internet ( B2I) à l'école et au collége ?

Or la maîtrise de l’informatique comme support d’une activité cognitive est bien une des clefs fondamentales de la performance économique de demain et donc de la création de richesse collective. Ce ne sont pas les objets qui doivent intéresser – bien qu’une salle équipée s’inaugure mieux devant les journalistes de la presse locale qu’un logiciel pédagogique – mais les projets pédagogiques qui intègrent l’ordinateur, c’est à dire les logiciels et l’usage de l’internet, pour atteindre des objectifs d’acquisition de connaissance. Dépassons également les querelles sans fin qui opposent les enseignants adeptes du « monde libre » et ceux qui utilisent des systèmes d’exploitation propriétaires. Franchement, quelle importance au regard des enjeux, même si le débat n’est pas vain en soi ? Ne mélangeons pas comme avec le TO7 en son temps politique industrielle, lutte contre les monopoles et politique éducative. On ne connait les résultats...

Il est grand temps d’externaliser de façon contrôlée la gestion des parcs et des réseaux à des professionnels compétents et de mettre tous les moyens internes de l’appareil éducatif sur les contenus et la formation des maîtres en partenariat avec les éditeurs.

Sinon, ce sera aux parents inquiets de continuer à acheter Adibou sans référence pédagogique et au pouvoir éducatif d’accepter tacitement de faire de l’usage de l’informatique un outil qui renforce les inégalités.


De la mondialisation : les technologies responsables ?

La mondialisation n’est pas une invention récente ! Le bas coût des transports, notamment maritimes- grâce ou à cause de la médiocre gestion des ressources non renouvelables d’énergie fossile et à l'invention du conteneur - , et l’explosion d’internet façonnent la mondialisation du XXIe siècle. Mais il s’agit d’un mouvement inexorable qui a commencé véritablement au XVIIIe siècle avec l’expansion coloniale. Si on admet qu’il s’agit d’un faisceau de faits techniques, politiques et économiques qui rapprochent brutalement des pays éloignés et qui s’ignoraient jusque là et modifient l’équilibre de leurs relations, on peut même oser penser qu’elle a commencé avec les premières conquêtes coloniales espagnoles. Pour se rassurer, on pourrait même expliquer ainsi que la mondialisation est un phénomène ancien et bien maîtrisé et, au delà des tensions actuelles, sans conséquence majeure sur les équilibres planétaires.

Dans tous les cas, ancienne ou récente, la mondialisation est une rupture. C’est un changement brutal qui bouleverse les perspectives habituelles, ancrées dans la culture dominante et métabolisées dans leurs comportements par les acteurs économiques. La mondialisation est fondamentalement une ouverture à des pratiques étrangères qui porte des conséquences rapides sur les flux d’échanges et sur les comportements.

C’est pourquoi, la mondialisation du début du XXIe siècle tranche sur les « mondialisations » antérieures par sa nature et la force de ses conséquences.

Certes la fin du XIXe siècle a connu un formidable changement dans les moyens de transport et de communication. L’ère est à l’ouverture permise par les moyens de communication. Mais c’est un mouvement à sens unique, la différence de potentiel entre l’Europe et le reste du monde générant un courant de population et de moyens techniques, dont la contrepartie est le rapatriement vers l’Europe des gains de ces investissements massifs en talents et en capital. La colonisation est vécue, en Europe, comme une formidable aventure humaine prometteuse de prospérité, sans que la dissymétrie fondamentale qui la caractérise ne pose question. Soixante millions d’européens ont quitté l’Europe pour l’Amérique du nord, avec la bonne conscience de civiliser des terres vierges.
La Grande-Bretagne tire revenus et fierté de son Empire qui fait de Liverpool le premier port du monde.
Les bateaux frigorifiques ont permis dès 1875 le transport de viande d’Argentine et de Nouvelle-Zélande en Europe, favorisant une spécialisation internationale qui a (déjà) déstabilisé les éleveurs européens. La décennie 1890 est une formidable période de découvertes et d’expansion mondiale du commerce. L’invention de la télégraphie sans fil a ouvert la communication mobile et sécurisé les modes de transport. Les câbles sous-marins transatlantiques permettaient d’échanger déjà de l’information élaborée à un coût faible. Le traitement automatisé de l’information de masse, apparu aux Etats-Unis avec le recensement de 1890, mais aussi la machine à écrire, la machine à calculer bouleversent le traitement de l’information et développent une productivité tertiaire sans précédent.

La guerre de 1914-1918 est la première guerre mondiale. Elle rassemble sur le théâtre d’opérations européen des peuples venus de la planète entière. Les fermiers néo-zélandais se font massacrer en Turquie à Galipoli. Les tirailleurs sénégalais meurent de froid dans les tranchées des Ardennes. Au nom de la défense de leur mères patries européennes, les peuples de colonies sont embrigadés dans un conflit qui les dépassent. Le paradoxe est que cette guerre scelle la mort d’une tentative de libre-échange mondial, poussée par les techniques de transport et de communication. Est-ce que cet affrontement européen fratricide puisait alors dans les excès de la « mondialisation » de l’époque les sources de son déchaînement ?

La mondialisation d’aujourd’hui est une mondialisation de masse et non plus de classe, une mondialisation de proximité plutôt qu’une mondialisation du déplacement et de la distance. Elle se joue dans les rayons de supermarché avec le jean à 5 €. La baisse des prix pousse les produits des pays émergents dans les caddies de la ménagère occidentale sans considération d’origine. C’est l’effet Wal-Mart, mais aussi Carrefour ou Auchan ! La stagnation des revenus des ménages accélère mécaniquement la pénétration des produits importés de pays à bas coût de main-d’oeuvre, entraînant à son tour une amplification de la fuite des emplois faiblement qualifiés vers ces mêmes pays au détriment direct, à court terme, de la population ouvrière des pays riches progressivement exclue des secteurs du textile et de l’électronique grand public. Même le tourisme de proximité est désavantagé face aux offres des catalogues sur internet qui proposent la semaine exotique dans les ghettos aseptisés à 150 €.

Certes, les messages circulent encore plus vite que les personnes. Non seulement internet a aboli toute forme de distance temporelle dans l’accès à l’information, mais la circulation de l’image par le satellite, l'image numérique et les webcams apporte dans chaque foyer des centaines d’opportunités de partager le regard des autres.

Mais la mondilaisation n'est plus unilatérale. La mondialisation est une formidable opportunité pour les vieilles civilisations indiennes et chinoises de retourner contre l’occident les armes utilisées pendant plusieurs siècles pour les dominer. Progrès technique et libre échange (re)deviennent des instruments de conquête, mais la donne a changé. INternet permet à toute entreprise d'accèder aux ressources mondiales et aux clients mondiaux. Mais l’outil le plus efficace restera sans aucun doute la compétence permise par un formidable mouvement d’éducation de masse et l'accès de tous à l'information scientifique et technique. L’illusion serait de croire que les pays « développés » pourraient se protéger de l’effet de destruction des emplois non qualifiés par une spécialisation toujours plus tendue vers les métiers hautement qualifiés. D’ores et déjà Inde et Chine sont lancées dans les technologies de pointe et cherchent à garantir leur indépendance dans les technologies les plus sophistiqués. Avec 5% de croissance mondiale depuis quatre ans, tirée par les nouveaux venus, qui serait en droit de blâmer ?


NB : Il faut lire « Making globalization work » de Joseph Stigliz (sept. 2006) (http://www2.gsb.columbia.edu/faculty/jstiglitz/)
Publié en français par Fayard sous le titre "Un autre monde" sous-titré "Contre le fanatisme du marché". La différence de titre pour le marché français est signifiante...


Usuals suspects ?

La vie du DSI est certainement beaucoup moins noire que ce film sombre, brillant, étonnant et désormais culte, de Bryan Singer. Mais beaucoup de DSI ont le sentiment d'être les suspects habituels des petits et grands dysfonctionnements de l'entreprise. C'est la faute de l'informatique entend-on toujours régulièrement aux caisses des supermarchés, au guichet des banques ou des gares ou dans les conversations autour de la machine à café... C'est aussi ce qu'on entend dans les salles plus ouatées des comités de direction ! Et cette petite musique aigrelette, loin de se tarir, s'amplifie au fur et à mesure de la progression de la diffusion des outils informatique. Comment sortir de cette impression d'instabilité, d'inachèvement afin de permettre à tous les acteurs de savourer les performances de systèmes efficaces et valorisés et aux informaticiens d'en tirer une reconnaissance légitime ?

Comment une entreprise ou une organisation publique serait-elle aujourd’hui en mesure de fonctionner sans informatique ? Que se passe-t-il quand l’informatique toussote, ne serait-ce que quelques dizaines de minutes ? La cause est entendue : l’informatique est essentielle, centrale, elle irrigue tous les métiers, tous les instants de la vie sociale, mondialement, 24 heures sur 24. Elle est vecteur de progrès, de performance, d'efficacité.

Est-elle respectée : non, pas vraiment. Trop chère, trop lente, trop complexe, trop ésotérique, trop opaque. Ces critiques sont dures, fréquentes, les incidents sont l’occasion de réactions courroucées des utilisateurs comme des dirigeants. Face à cette tension, se développe dans la communauté des DSI un sentiment, parfois exaspéré, de ne jamais en faire assez. Quand le DSI parle de gouvernance, on lui rétorque qu’il n’y pas de raison particulière de mettre le projecteur sur l’informatique, simple fonction « support ». Quand il dote cette fonction de tous les indicateurs pertinents, on lui reproche d’entretenir un plaidoyer pro domo. Quand il communique, on pense que c’est de l’arrogance, et trouver le ton juste, ni trop, ni trop peu, se révèle un exercice improbable. Quant à sortir de l'image un peu froide de pur technicien pour embrasser avec enthousiasme la vision stratégique de l’entreprise, ce que devrait faciliter sa position transversale, c’est prendre le risque réel de se heurter aux territoires des autres.

Quant Nicholas Carr a lancé son brûlot « IT doesn’t matter », comparant l’informatique à l’électricité, ce qui n’est pas en soi déshonorant mais ne reflète qu’une part limitée de la fonction, il n’a pas suscité d’indignation particulière en dehors des acteurs de l’écosystème informatique totalement solidaires. Fondamentalement, le succès de l’informatique s’accompagne curieusement d’un intérêt décroissant pour ceux qui la produisent et la gèrent.

Cette situation qui irrite nombre d'acteurs clefs est probablement normale. Elle traduit une banalisation réelle de l'usage de l'informatique, contrepartie de son succès planétaire. Mais les professionnels que sont les DSI et leurs équipes ont le sentiment que cette banalisation est allée trop loin et dissimule aux décideurs une réalité plus contrastée dans le monde des entreprises. Car l’informatique demeure un sujet complexe pour lequel les décisions ne peuvent être pertinentes que si elles sont préparées par un soigneux décryptage du contexte et des enjeux et accompagnées par une gouvernance robuste. On ne peut pas en effet se plaindre des défaillances de l’informatique et ne pas y consacrer une attention méthodique. Bernadette Lecerf-Thomas décrit avec exactitude dans son ouvrage* l’ambiguïté de cette relation DSI-DG et n’hésite pas à analyser en profondeur la bouc-émissarisation de l’informatique.

Ce diagnostic est partagé par tous les DSI, plus ou moins ouvertement, avec des nuances selon les secteurs, mais ceci demeure dans la profession une frustration pudique pour ne pas pénaliser son image par une tonalité revendicative. Seraient-ils (presque) tous devenus paranoïaques ? En tout cas le rôle et la place du DSI sont une figure imposée de toutes les réunions de la profession, ce qui n’est pas nécessairement le cas des directeurs financiers, industriels, logistiques, commerciaux dont la fonction est rarement mise en cause.

Quels sont les faits objectifs derrière les sentiments ? La fonction informatique dans son ensemble commence à connaître une désaffection réelle chez les jeunes. Elle semble avoir perdu son lustre, tant d’après les formateurs que les recruteurs... Les causes en sont multiples. Mais outre le désenchantement face à une fonction aux contours flous et à la reconnaissance aléatoire, il y a le sentiment que des transformations inéluctables vont encore déstabiliser ce métier. D'après l'UNEDIC (avril 2006), 44% des postes proposés sur le marché sont difficiles à pourvoir faute de candidats qualifiés. L'outsourcing et l'offshore apparaissent comme des solutions désormais naturelles de traitement de la fonction informatique, mais la définition des limites et des conditions de mise en oeuvre est encore trop floue ce qui est perçu comme une menace par les informaticiens d'entreprise, alors que ce ne sont que des moyens à gérer avec discernement et dans le respect des compétences.

S'il y a crise de l'informatique d'entreprise, il faut faire preuve de lucidité, la comprendre, trouver des réponses ni offusquées ni culpabilisantes. Il y a évidemment matière à débat, tant sur le rôle effectif et mesurable des systèmes d’information dans l’économie moderne que dans l’évolution de la fonction au sein des organisations. Ce débat doit être tenu avec sérénité et impartialité pour permettre de prendre des décisions aussi claires que robustes, qui ne doivent rien, ni à la mode, ni à l'idéologie.

"Usual suspects" ? Il faut sortir des clichés et images toutes faites, une bonne cinquantaine d'années après la naissance de l'informatique moderne, plus de dix ans après l'émergence fracassante du web. Il est désormais temps d'entrer vraiment dans une ère de fonctionnement naturel et fluide de l'informatique en entreprise, en phase avec la pénétration de l'informatique dans tous les aspects de la vie sociale, et exploiter vraiment les innovations pour plus d'efficacité individuelle et de performance collective. Les moyens de cette mutation sont connus : il est indispensable d'industrialiser le traitement de l'information, sortir défintivement de l'artisanat, rationaliser le parc applicatif, durcir la fiabilité de l'exploitation, s'ouvrir sur les clients et fournisseurs, construire des partenariats sereins entre tous les acteurs de l'écosystème, développer la qualité totale. La liste est longue, la tâche importante, et mérite la mobilisation de compétences internes de plus en plus aguerries !

* L'informatique managériale : relations et approche systémique (Coll. Management et informatique) 
Auteur(s) LECERF-THOMAS Bernadette - 09-2006 Hermès Lavoisier