"The French paradox 2"
31 mai 2006
La France peut s’enorgueillir de titiller la curiosité des nord-américains grâce à son « french paradox » alimentaire. Mais notre pays surprend également par ce que Jean Mounet, président de Syntec informatique, -la chambre syndicale qui regroupe éditeurs de logiciels et sociétés de services informatique -, appelle le « French paradox 2 ». Il caractérise ainsi la relation ambiguë des français avec les technologies de l’information : nous sommes avides de nouvelles technologies pour notre usage domestique mais, dans la sphère professionnelle, nous persistons à considérer l’investissement informatique comme un coût fatal qu’il faut sans cesse comprimer.
Le « french paradox » alimentaire a suscité de nombreuses études pour comprendre comment ce peuple qui mange plus de graisse et boit plus de vin rouge que les autres bénéficie d’un taux aussi faible d’accidents cardio-vasculaires. S’il est bien vrai que le taux d’infarctus du myocarde en France est inférieur de moitié à celui des Etats-Unis, la contribution de la faible teneur en graisse animale de notre alimentation, particularité commune aux pays méditerranéens, paraît désormais plus contributrice à ce bon résultat que la seule consommation de vin.
Mais le French Paradox 2 lui résiste à l’analyse. La propension des français à se précipiter sur les outils technologiques les plus récents est très forte. Après avoir longtemps été en retard sur le déploiement d’internet, la France a aujourd’hui rejoint le peloton de tête des pays moteurs. Les opérateurs ont réussi à séduire les foyers français avec les offres jointes téléphone +internet + télévision (« triple play » ). Les abonnements à Internet ont crû de 11% en 2005, grâce à une forte croissance du haut-débit qui représente les deux-tiers des abonnements à Internet. Il y a désormais 48 millions d’utilisateurs de téléphone mobile en France, dont plus de 41 millions d’utilisateurs grand public et le trafic SMS ne cesse de croître avec 12, 7 milliards de messages échangés, soit une croissance de 23% en un an !
En revanche la situation est moins glorieuse du côté des investissements des entreprises. Une étude de la Commission européenne – « premier rapport sur la société européenne de l’information », publié en mai 2006 – rend compte de la situation des pays membres au regard de l’ambition de Lisbonne, réaffirmée sous le label « initiative i2010 ». Globalement les pays de l’Europe avec un taux de croissance du PIB qui ne dépasse pas 2% sont à la traîne dans une économie mondiale dynamique, loin derrière les Etats-Unis et la Chine, et notamment dans les technologies de l’information. Or il est désormais établi que les TIC concourent à la croissance à la fois par leur secteur d’activité propre et par la contribution de leur usage dans l’innovation et le développement dans tous les secteurs d’activité. Ainsi, le secteur des technologies de l’information en Europe a un taux de croissance supérieur à la moyenne ( 3,6% en 2005) et contribue largement à la recherche ( 25 % de l’effort total de recherche des pays européens). Même si l’Europe a échoué dans sa capacité à disposer de géants de l’informatique grand public, elle dispose encore d’un secteur tonique notamment dans les services l'électronique professionnelle et de défense.
Mais le vecteur principal de croissance réside dans l’adoption par les entreprises des technologies de l’information pour repenser leur processus et s’intégrer dans les nouveaux espaces en réseaux qui relient producteurs et consommateurs. Ce vieux rêve des pionniers de l'informatique est désormais une réalité accessible grâce au web.
Internet apporte de façon brillante une nouvelle manière de créer, de diffuser les produits et services et d’échanger avec les clients et les fournisseurs. Il ne s'agit plus seulement de rechercher une productivité supplémentaire, il faut inventer de nouvelles logiques de conception, de production et de distribution jusqu'au consommateur final. Les particuliers l’ont désormais bien compris, et, à titre d'exemple dans un secteur classique de l'économie, le succès de voyages-sncf.com, deuxième site le plus visité en France, en est une démonstration éloquente.
L'essor du commerce électronique en France s'amplifie, alors que nous étions plutôt résistants.
Le baromètre de l'ACSEL (association pour le commerce et les services en ligne) montre une progression sur un an ( T1 2006 vs T1 2005) de 37% du chiffre d'affaires. 15 millions d'internautes ont acheté en ligne soit 57% des internautes, la moitié des nouveaux acheteurs sont des femmes. 75% des internautes utilisent Internet pour préparer un achat. Désormais ce phénomène touche toutes les couches de la population, et plus seulement les jeunes mâles urbains !
Les conséquences pour la publicité, la distribution, le commerce, et la nature même des produits ne vont que s'amplifier !
De plus les relations entre l’Etat, d'un côté, et les particuliers et les entreprises, d'autre part se développent rapidement dans notre pays.
Or si le commerce électronique se développe par l'aval, il faut bien que l'offre suive tout au long de la chaîne de valeur. Or les échanges électroniques inter-entreprises restent encore timides et la plupart du temps limités à des flux intra-sectoriels, encore basés sur la culture rigide de l'EDI.
C’est par la fluidité de l’information entre les acteurs économiques que se développent les échanges et donc la croissance. Cette libération des échanges entraîne le développement de nouvelles compétences, et par là même, ouvre la voie à l’innovation et à la croissance. Investir dans les technologies de l’information génère un cercle vertueux dont les entreprises nord-américaines ont compris le ressort, suivi en cela par les entreprises asiatiques et bien entendu chinoises.
Face à cette perspective, les entreprises européennes répondent généralement par le doute et l’expectative. Cette frilosité est devenue un frein à la croissance au moment où les technologies de plus en plus matures, autour des produits qui sont au coeur de l'internet, proposent des solutions accessibles et fiables. Il faut donc résolument faire tomber les dernières inhibitions qui cantonnent les TIC dans un rôle supplétif de « fonction support ». Les gouvernements européens commencent à en être convaincus et exhorent les entreprises à surmonter leur retard. Quelques initiatives publiques comme, en France, le programme TIC PME 2010 visent à encourager l’investissement des PME dans les techniques permettant le développement du commerce électronique entre acteurs des filières économiques. Le MEDEF accélère ses travaux sur l'économie numérique pour stimuler ses membres, et les relais régionaux sont de plus en plus vigoureux. Mais ces efforts restent insufisants pour changer la culture entrepreuriale dans ses relations avec l'informatique.
Nous sommes dans une situation d‘urgence qui appelle une vigoureuse réaction des chefs d’entreprise. Ce n’est plus une question de croyance individuelle mais une exigence collective. S’ils sont encore inquiets qu’ils demandent conseil à leurs enfants qui, eux, sont nés dans l’économie numérique et en comprennent les enjeux et les mécanismes.