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"The French paradox 2"


La France peut s’enorgueillir de titiller la curiosité des nord-américains grâce à son « french paradox » alimentaire. Mais notre pays surprend également par ce que Jean Mounet, président de Syntec informatique, -la chambre syndicale qui regroupe éditeurs de logiciels et sociétés de services informatique -, appelle le « French paradox 2 ». Il caractérise ainsi la relation ambiguë des français avec les technologies de l’information : nous sommes avides de nouvelles technologies pour notre usage domestique mais, dans la sphère professionnelle, nous persistons à considérer l’investissement informatique comme un coût fatal qu’il faut sans cesse comprimer.

Le « french paradox » alimentaire a suscité de nombreuses études pour comprendre comment ce peuple qui mange plus de graisse et boit plus de vin rouge que les autres bénéficie d’un taux aussi faible d’accidents cardio-vasculaires. S’il est bien vrai que le taux d’infarctus du myocarde en France est inférieur de moitié à celui des Etats-Unis, la contribution de la faible teneur en graisse animale de notre alimentation, particularité commune aux pays méditerranéens, paraît désormais plus contributrice à ce bon résultat que la seule consommation de vin.

Mais le French Paradox 2 lui résiste à l’analyse. La propension des français à se précipiter sur les outils technologiques les plus récents est très forte. Après avoir longtemps été en retard sur le déploiement d’internet, la France a aujourd’hui rejoint le peloton de tête des pays moteurs. Les opérateurs ont réussi à séduire les foyers français avec les offres jointes téléphone +internet + télévision (« triple play » ). Les abonnements à Internet ont crû de 11% en 2005, grâce à une forte croissance du haut-débit qui représente les deux-tiers des abonnements à Internet. Il y a désormais 48 millions d’utilisateurs de téléphone mobile en France, dont plus de 41 millions d’utilisateurs grand public et le trafic SMS ne cesse de croître avec 12, 7 milliards de messages échangés, soit une croissance de 23% en un an !

En revanche la situation est moins glorieuse du côté des investissements des entreprises. Une étude de la Commission européenne – « premier rapport sur la société européenne de l’information », publié en mai 2006 – rend compte de la situation des pays membres au regard de l’ambition de Lisbonne, réaffirmée sous le label « initiative i2010 ». Globalement les pays de l’Europe avec un taux de croissance du PIB qui ne dépasse pas 2% sont à la traîne dans une économie mondiale dynamique, loin derrière les Etats-Unis et la Chine, et notamment dans les technologies de l’information. Or il est désormais établi que les TIC concourent à la croissance à la fois par leur secteur d’activité propre et par la contribution de leur usage dans l’innovation et le développement dans tous les secteurs d’activité. Ainsi, le secteur des technologies de l’information en Europe a un taux de croissance supérieur à la moyenne ( 3,6% en 2005) et contribue largement à la recherche ( 25 % de l’effort total de recherche des pays européens). Même si l’Europe a échoué dans sa capacité à disposer de géants de l’informatique grand public, elle dispose encore d’un secteur tonique notamment dans les services l'électronique professionnelle et de défense.

Mais le vecteur principal de croissance réside dans l’adoption par les entreprises des technologies de l’information pour repenser leur processus et s’intégrer dans les nouveaux espaces en réseaux qui relient producteurs et consommateurs. Ce vieux rêve des pionniers de l'informatique est désormais une réalité accessible grâce au web.

Internet apporte de façon brillante une nouvelle manière de créer, de diffuser les produits et services et d’échanger avec les clients et les fournisseurs. Il ne s'agit plus seulement de rechercher une productivité supplémentaire, il faut inventer de nouvelles logiques de conception, de production et de distribution jusqu'au consommateur final. Les particuliers l’ont désormais bien compris, et, à titre d'exemple dans un secteur classique de l'économie, le succès de voyages-sncf.com, deuxième site le plus visité en France, en est une démonstration éloquente.

L'essor du commerce électronique en France s'amplifie, alors que nous étions plutôt résistants.
Le baromètre de l'ACSEL (association pour le commerce et les services en ligne) montre une progression sur un an ( T1 2006 vs T1 2005) de 37% du chiffre d'affaires. 15 millions d'internautes ont acheté en ligne soit 57% des internautes, la moitié des nouveaux acheteurs sont des femmes. 75% des internautes utilisent Internet pour préparer un achat. Désormais ce phénomène touche toutes les couches de la population, et plus seulement les jeunes mâles urbains !
Les conséquences pour la publicité, la distribution, le commerce, et la nature même des produits ne vont que s'amplifier !

De plus les relations entre l’Etat, d'un côté, et les particuliers et les entreprises, d'autre part se développent rapidement dans notre pays.

Or si le commerce électronique se développe par l'aval, il faut bien que l'offre suive tout au long de la chaîne de valeur. Or les échanges électroniques inter-entreprises restent encore timides et la plupart du temps limités à des flux intra-sectoriels, encore basés sur la culture rigide de l'EDI.

C’est par la fluidité de l’information entre les acteurs économiques que se développent les échanges et donc la croissance. Cette libération des échanges entraîne le développement de nouvelles compétences, et par là même, ouvre la voie à l’innovation et à la croissance. Investir dans les technologies de l’information génère un cercle vertueux dont les entreprises nord-américaines ont compris le ressort, suivi en cela par les entreprises asiatiques et bien entendu chinoises.

Face à cette perspective, les entreprises européennes répondent généralement par le doute et l’expectative. Cette frilosité est devenue un frein à la croissance au moment où les technologies de plus en plus matures, autour des produits qui sont au coeur de l'internet, proposent des solutions accessibles et fiables. Il faut donc résolument faire tomber les dernières inhibitions qui cantonnent les TIC dans un rôle supplétif de « fonction support ». Les gouvernements européens commencent à en être convaincus et exhorent les entreprises à surmonter leur retard. Quelques initiatives publiques comme, en France, le programme TIC PME 2010 visent à encourager l’investissement des PME dans les techniques permettant le développement du commerce électronique entre acteurs des filières économiques. Le MEDEF accélère ses travaux sur l'économie numérique pour stimuler ses membres, et les relais régionaux sont de plus en plus vigoureux. Mais ces efforts restent insufisants pour changer la culture entrepreuriale dans ses relations avec l'informatique.

Nous sommes dans une situation d‘urgence qui appelle une vigoureuse réaction des chefs d’entreprise. Ce n’est plus une question de croyance individuelle mais une exigence collective. S’ils sont encore inquiets qu’ils demandent conseil à leurs enfants qui, eux, sont nés dans l’économie numérique et en comprennent les enjeux et les mécanismes.


Promesses et réalités de la réalité virtuelle

Les huitièmes rencontres internationales de la réalité virtuelle viennent de se clore à Laval (Mayenne) par deux journées consacrées au grand public, les 29 et 30 avril. Il faut dire que les démonstrations qui y étaient présentées sont attirantes, spectaculaires et souvent poétiques. L’imagination exploite les potentialités de la technique pour offrir de vrais spectacles et animations susceptibles d’attirer le plus grand nombre. Ce colloque qui rassemble chaque année un nombre de plus en plus élevé d’exposants, de conférenciers et d’étudiants rencontre un succès bien réel dans la communauté mondiale des spécialistes de la réalité virtuelle et se porte désormais au niveau de la manifestation américaine équivalente, le SIGGRAPH. Car au-delà du spectaculaire qui a toute sa place dans les parcs d’attraction les plus créatifs la réalité virtuelle est désormais une technique de pointe dont les applications industrielles se diffusent progressivement dans tous les secteurs d’activité.

De quoi s’agit-il ?

La réalité virtuelle recouvre un ensemble de techniques – outils et logiciels- qui permettent de simuler un environnement réel permettant une interaction avec des objets virtuels qui sont des modèles informatiques d’objets réels. En stimulant artificiellement les sens -vue, audition, toucher- ces outils permettent à l’observateur de ressentir une situation réelle et d’en tirer des leçons expérimentales. Ces techniques existent depuis le début des années quatre-vingt et ont été exploitées à la fois dans le domaine militaire et par l’industrie cinématographique. Elles ont fait l’objet d’une lente adoption par les industriels, notamment dans le domaine aérospatial et l’automobile, qui travaillent étroitement avec le milieu de la recherche.
De très nombreux travaux universitaires ont été consacrés aux recherches sur la réalité virtuelle, et la France est très active dans ce domaine avec notamment l’INRIA ou le CEA (CEA-LIST, Laboratoire d’intégration des systèmes et des technologies). La réalité virtuelle a fait l’objet d’un « programme de recherche concerté » qui a fédéré, à partir de 1994, les efforts de la communauté scientifique française. Ce programme a été ensuite prolongé par le PERF-RV, (Plate-forme française de réalité virtuelle) clos en 2004, puis le PERF-RV 2, qui a pour objectif de démontrer que l'intégration de l'humain virtuel dans l'usine numérique permettra d'améliorer, dès la conception, l'efficacité et l'ergonomie des postes de travail.. Notons la présence active des éditeurs de logiciels comme Dassault Systems qui a récemment acquis le spécialiste français Virtools et d’industriels comme Thales.

L’avenir de la réalité virtuelle

Ce domaine n’échappe pas, comme toute technologie de pointe, au cycle de vie bien illustré par le Gartner Group avec sa célèbre courbe sur le « HypeCycle technologique ». Les medias ont survalorisé la réalité virtuelle, rendue emblématique par des films comme Matrix. Cette renommée a suffit à rendre cette technique suspecte aux yeux des professionnels. Après une phase de désillusion au début des années 2000, la réalité virtuelle, comme en témoigne le succès des journées de Laval, a trouvé un nouveau rythme .

La réalité virtuelle recouvre un ensemble de disciplines pointues. Un système de réalité virtuelle est complexe et intègre diverses technologies (architecture distribuée, modélisation informatique de la géométrie et du comportement physique, synthèse d'images, de sons, retour d'effort, interface homme-machine…) qui doivent progresser ensemble, ce qui pose un problème de cohérence et de convergence pour donner des résultats exploitables

La réalité virtuelle est sortie, encore timidement, des laboratoires pour être exploitée par l’industrie. Les exemples se multiplient, même si leur intégration dans les cycles de vie du produit est loin d’être aboutie. La conception d’un cockpit d’avion ou de l’intérieur d’une automobile font appel à ces outils pour certaines fonctions. Les simulateurs de vols ou de conduite d’une centrale nucléaire sont des applications tout à fait opérationnelles et reconnues pour leur efficacité. Dans une salle d’immersion à trois dimensions, un CAVE, l’observateur peut se déplacer à l’intérieur d’un objet virtuel avec un gant interactif et des lunettes pour en améliorer la conception. Le groupe PSA utilise cette technique dans son nouveau centre de conception de Velizy. De même de nouveaux usages plus sociétaux se dessinent, comme la rééducation des handicaps moteurs, la thérapie des phobies, ou la formation des chirurgiens. L’urbanisme est aussi un domaine d’application prometteur avec des outils de simulation des nuisances urbaines tels que ceux développés par le CSTB, qui a développé un modèle en trois
dimensions de la ville de Cannes.
Bien entendu, l’industrie du loisir est très consommatrice de ces techniques, largement utilisées pour les jeux vidéo et les parcs d’attraction.

Un des prix décerné à Laval a été attribué à une équipe japonaise qui a conçu de minuscules personnages, des sortes de lutins, les « kobitos » qui déplacent un objet réel placé sur une table et sur lequel on peut également agir dans la vie réelle, créant immédiatement une réaction des kobitos dans leur vie virtuelle … Amusant, certes, intrigant, mais aussi prometteur dès lors qu’on est capable de franchir la frontière entre le réalisme et l’imaginaire. L’innovation, c’est plus que jamais oser s’aventurer hors du cadre conventionnel même quand le bénéfice immédiat ne parait pas… tangible.


A consulter :
- un dossier très clair sur les « promesses de la réalité virtuelle » réalisé par l’INRS (Institut National de recherche et de Sécurité ) (http://www.travail-et-securite.fr)
- le rapport final du PERF-RV (octobre 2004) http://www.perfrv.org/vitrine/resultats/commun/ColloqueFinal/rapports/SyntheseFinale.fr.pdf
- structure d’un CAVE : http://vision.opto.umontreal.ca/Francais/virtuel.html
- http://www.clarte.asso.fr/ site du centre lavallois de ressources technologiques
- http://www.siggraph.org/s2006/