Internet réhabilite l’écrit
14 mars 2006
La profusion des blogs dans notre pays est un exemple frappant de l’émergence d’un phénomène nouveau, le retour en grâce de l’écrit par le canal des technologies de l’information. Plus de 7 millions de français ont consulté un blog au dernier trimestre 2005, soit plus d’un internaute sur 3, mais 8 blogueurs sur 10 ont moins de vingt-cinq ans*.
Internet est directement la cause de cette revanche de l’écrit. Tous les actes nécessaires à la navigation dans internet imposent l’utilisation de la lecture et de l’écriture, courriels, messagerie instantanée, consultations de références, commerce. Téléphoner a permis à la génération de l’après guerre de négliger la maîtrise de la langue écrite et de l’orthographe, contraintes devenues contournables dans un monde de la parole volatile. Alors qu’il suffit de se promener dans les allées d’un hypermarché pour faire ses courses, accéder aux sites marchands même les plus visuels et ergonomiques suppose la maîtrise de la gestion, dans un espace virtuel, d’informations multiples qui passent par le décryptage et la mémorisation de signes. C’est une faculté qui n’est pas si largement répandue ! Beaucoup de gens, surtout les moins jeunes, avouent avoir de la difficulté à lire un texte sur un écran et, donc, préférer le support papier. La qualité actuelle des écrans LCD n’est certainement pas en cause. Ce rejet de l’écrit « numérique » traduit une difficulté réelle à manier les signes et à les comprendre, car fondamentalement, lire, c’est comprendre. Or comme il est impossible d’imprimer les millions de pages de l’internet, et exclu de dialoguer avec les systèmes interactifs autrement que par l’écrit, des catégories entières de personnes, appartenant à toutes les couches de la société, se coupent de l’usage courant de l’internet ce qui dégrade leur capacité à interagir dans le monde de la communication, et, à terme, leurs compétences. En entreprise, c’est une menace pour la cohérence des équipes car toute l’information n’est plus désormais disponible que sur les sites intranet et les espaces coopératifs. Ceux qui ne fréquentent pas ces espaces ne sont plus irrigués par l’information vivante de l’entreprise.
Une étude récente (mars 2006) de l’OCDE, construite à partir de l’enquête internationale ALL ( Adult Literacy and Life skill survey), met en évidence qu’une large part de la population, entre le tiers et les deux tiers, n’atteint pas le niveau de compétences requis pour tirer pleinement profit de l’internet. L’OCDE définit la "littératie", néologisme issu de l’anglais "literacy", comme "l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités". On peut décrypter : savoir lire, écrire et compter tout en comprenant ce qu’on fait et en pouvant l’utiliser dans la vie quotidienne. Certes ceci ne définit aucune compétence nouvelle. Mais dans un monde de signes surabondants, où la capture et le traitement des signaux est une nécessité quotidienne, les carences dans ces compétences fondamentales ont des conséquences de plus en plus sévères.
Cette étude a été menée aux Etats-Unis, au Canada, en Norvège, au Mexique, en Suisse et en Italie. En Norvége, 66 % d el apopulation dispose des aptitudes permettant de comprendre un texte, taux baissant à 60 % au Canada, 50 %en Suisse et aux Etats-Unis, 20% en … Italie. Elle confirme les enquêtes précédentes publiées depuis 2000. Il en ressort que la jeunesse et le niveau d’éducation sont des atouts essentiels pour tirer profit de l’usage de l’ordinateur, qui, à son tour, renforce le niveau de compétences. La fracture numérique trouve d’abord son origine dans la maîtrise des compétences cognitives de base. La technologie ne corrige donc pas, spontanément, comme on a pu le penser, mais accroît les différences culturelles par un processus cumulatif.
Une autre étude de l’OCDE, “Are students ready for a technology-rich world?” présente les premières données comparables au plan international dans ce domaine, qui corroborent des analyses antérieures de l’OCDE sur l’importance des ordinateurs dans les établissements scolaires. Les données sont tirées de l’étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) 2003 de l’OCDE sur les performances scolaires des adolescents de 15 ans. Près de trois élèves sur quatre utilisent chez eux un ordinateur plusieurs fois par semaine, et neuf sur dix en Islande, au Canada et en Suède. Le taux d’usage d’un ordinateur à l’école est plus faible : 44%. L’utilisation des logiciels d’apprentissage (moins de 20 % des usages) contre 55% pour internet ,53% pour les jeux, et 48% pour le traitement de texte traduit une appropriation multifonctionnelle de l’ordinateur. Même si l’usage ludique – musique, communication, blogs- de l’ordinateur par les étudiants est majeur, l’enquête établit une corrélation claire entre les résultats scolaires et la durée de l’utilisation personnelle d’un ordinateur.
Il est évident que la projection de ces comportements sur la vie future de ces jeunes parfaitement adaptés à l’usage multiple de l’ordinateur dans la vie va avoir des conséquences majeures sur leur comportement en entreprise et dans la vie citoyenne…
• enquête Mediamétrie, mars 2006
• http://www.pisa.oecd.org