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Internet réhabilite l’écrit


La profusion des blogs dans notre pays est un exemple frappant de l’émergence d’un phénomène nouveau, le retour en grâce de l’écrit par le canal des technologies de l’information. Plus de 7 millions de français ont consulté un blog au dernier trimestre 2005, soit plus d’un internaute sur 3, mais 8 blogueurs sur 10 ont moins de vingt-cinq ans*.

Internet est directement la cause de cette revanche de l’écrit. Tous les actes nécessaires à la navigation dans internet imposent l’utilisation de la lecture et de l’écriture, courriels, messagerie instantanée, consultations de références, commerce. Téléphoner a permis à la génération de l’après guerre de négliger la maîtrise de la langue écrite et de l’orthographe, contraintes devenues contournables dans un monde de la parole volatile. Alors qu’il suffit de se promener dans les allées d’un hypermarché pour faire ses courses, accéder aux sites marchands même les plus visuels et ergonomiques suppose la maîtrise de la gestion, dans un espace virtuel, d’informations multiples qui passent par le décryptage et la mémorisation de signes. C’est une faculté qui n’est pas si largement répandue ! Beaucoup de gens, surtout les moins jeunes, avouent avoir de la difficulté à lire un texte sur un écran et, donc, préférer le support papier. La qualité actuelle des écrans LCD n’est certainement pas en cause. Ce rejet de l’écrit « numérique » traduit une difficulté réelle à manier les signes et à les comprendre, car fondamentalement, lire, c’est comprendre. Or comme il est impossible d’imprimer les millions de pages de l’internet, et exclu de dialoguer avec les systèmes interactifs autrement que par l’écrit, des catégories entières de personnes, appartenant à toutes les couches de la société, se coupent de l’usage courant de l’internet ce qui dégrade leur capacité à interagir dans le monde de la communication, et, à terme, leurs compétences. En entreprise, c’est une menace pour la cohérence des équipes car toute l’information n’est plus désormais disponible que sur les sites intranet et les espaces coopératifs. Ceux qui ne fréquentent pas ces espaces ne sont plus irrigués par l’information vivante de l’entreprise.

Une étude récente (mars 2006) de l’OCDE, construite à partir de l’enquête internationale ALL ( Adult Literacy and Life skill survey), met en évidence qu’une large part de la population, entre le tiers et les deux tiers, n’atteint pas le niveau de compétences requis pour tirer pleinement profit de l’internet. L’OCDE définit la "littératie", néologisme issu de l’anglais "literacy", comme "l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités". On peut décrypter : savoir lire, écrire et compter tout en comprenant ce qu’on fait et en pouvant l’utiliser dans la vie quotidienne. Certes ceci ne définit aucune compétence nouvelle. Mais dans un monde de signes surabondants, où la capture et le traitement des signaux est une nécessité quotidienne, les carences dans ces compétences fondamentales ont des conséquences de plus en plus sévères.

Cette étude a été menée aux Etats-Unis, au Canada, en Norvège, au Mexique, en Suisse et en Italie. En Norvége, 66 % d el apopulation dispose des aptitudes permettant de comprendre un texte, taux baissant à 60 % au Canada, 50 %en Suisse et aux Etats-Unis, 20% en … Italie. Elle confirme les enquêtes précédentes publiées depuis 2000. Il en ressort que la jeunesse et le niveau d’éducation sont des atouts essentiels pour tirer profit de l’usage de l’ordinateur, qui, à son tour, renforce le niveau de compétences. La fracture numérique trouve d’abord son origine dans la maîtrise des compétences cognitives de base. La technologie ne corrige donc pas, spontanément, comme on a pu le penser, mais accroît les différences culturelles par un processus cumulatif.

Une autre étude de l’OCDE, “Are students ready for a technology-rich world?” présente les premières données comparables au plan international dans ce domaine, qui corroborent des analyses antérieures de l’OCDE sur l’importance des ordinateurs dans les établissements scolaires. Les données sont tirées de l’étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) 2003 de l’OCDE sur les performances scolaires des adolescents de 15 ans. Près de trois élèves sur quatre utilisent chez eux un ordinateur plusieurs fois par semaine, et neuf sur dix en Islande, au Canada et en Suède. Le taux d’usage d’un ordinateur à l’école est plus faible : 44%. L’utilisation des logiciels d’apprentissage (moins de 20 % des usages) contre 55% pour internet ,53% pour les jeux, et 48% pour le traitement de texte traduit une appropriation multifonctionnelle de l’ordinateur. Même si l’usage ludique – musique, communication, blogs- de l’ordinateur par les étudiants est majeur, l’enquête établit une corrélation claire entre les résultats scolaires et la durée de l’utilisation personnelle d’un ordinateur.

Il est évident que la projection de ces comportements sur la vie future de ces jeunes parfaitement adaptés à l’usage multiple de l’ordinateur dans la vie va avoir des conséquences majeures sur leur comportement en entreprise et dans la vie citoyenne…

• enquête Mediamétrie, mars 2006
• http://www.pisa.oecd.org


L'apport de la recherche en systèmes d'information

Tirer le meilleur parti des technologies de l’information en construisant, déployant et exploitant des systèmes attractifs et mobilisateurs est, depuis plus de trente ans, le défi quotidien des directions des systèmes d’information dans le monde. Or, parce que l’informatique s’est considérablement démocratisée, parce que chacun a désormais sa propre expérience de l’informatique, cet exercice paraît aujourd’hui à la portée de tous. C’est comme si on pouvait imaginer concevoir son propre véhicule à partir de son expérience d’utilisateur. Penser que l’informatique d’entreprise est simple parce que chacun désormais utilise Internet serait réducteur.

Même si tendanciellement le modèle de l’internet va s’imposer dans toutes les applications informatiques, en entreprise comme dans le monde domestique, l’informatique d’entreprise doit subir une mutation lente et coûteuse. Elle subit de multiples contraintes comme le poids de la base installée, qui impose de coûteuses interfaces pour assurer l’interopérabilité des applications, ou les exigences de continuité de service et de sécurité qui requièrent de lourds investissements. Là où Google ou eBay imposent mondialement leurs solutions, sans débat, chaque entreprise lutte contre le poids de son propre inertie, son allergie aux standards, le manque de rigueur des processus. Le coût de l’informatique d’entreprise réside dans l’accumulation à travers l’histoire de spécificités dont elle ne sait se défaire aisément.

Sortir de cette situation est un impératif de coût et de performance. Mais cela ne peut se faire dans le désordre. Il faut développer une compréhension collective des enjeux et des contraintes en intégrant le plus grand nombre d’acteurs dans l’action à travers une méthodologie rigoureuse. Ceci implique un effort de compréhension mutuelle, de formation et de méthode, c’est à dire un investissement. Fort heureusement, il y a des outils pour cela, fruits de la recherche. Ils ne sont pas techniques car comprendre les systèmes d’information ne relève plus de la connaissance technique, mais du seul management. Il faut les promouvoir et les diffuser dans toutes les couches de management de l’entreprise.

La recherche sur les systèmes d’information est largement méconnue, souvent mésestimée, alors même que des travaux considérables sont menés pour comprendre cette alchimie subtile qui consiste à transformer des idées, des concepts, des processus en code informatique exploitable, fiable et peu coûteux. Cette recherche se fait essentiellement dans le milieu universitaire et les écoles de gestion. Elle est aussi relayée par des associations ou organismes professionnels. Il est indispensable que les DSI et le management des entreprises s'en inspirent pour sortir de l'empirisme, qui au nom du pragmatisme, conduit à sous-utiliser les ressources informationnelles et le capital gognitif. Prenons quelques exemples.

Le « Center for information systems research », de la Sloan School of Management, appartenant au Massachusetts Institute of Technology* a été fondé en 1974 ; il est un des centres mondiaux majeurs de recherche en systèmes d’information. Ses publications sont remarquables, s’appuient sur un travail de chercheurs alimenté par des cas d’entreprises, et couvrent tous les débats actuels de l’évolution des systèmes, sous une forme synthétique accessible aux dirigeants comme sous des formes plus académiques. Les thèmes actuels représentent une bonne approche des sujets qui touchent le cœur des problèmes des entreprises : la performance de la gouvernance, la variabilisation des coûts d’infrastructure, le management des risques, le management de l’outsourcing de deuxième génération, l’apport des SI dans le changement des processus d’entreprise par l'innovation, la création de valeur par le gestion des portefeuilles d’applications…

L’ISACA est née en 1967 et rassemble aujourd’hui 50000 membres, professionnels de l’informatique et des systèmes d’information appartenant à 140 pays. Sa mission est de définir et déployer un référentiel de gouvernance des systèmes d’information permettant de contrôler la conformité et la sécurité des systèmes d’information. L’ISACA capitalise à travers ses travaux de recherche une connaissance extensive des pratiques en matière de systèmes, diffusée à travers des documents de référence et surtout le référentiel CoBit dont la version 4 vient d’être publiée. Les travaux de l'ISACA sont déployés en France par l'AFAI et le CIGREF qui travaillent en partenariat au sein de l'Insititut de la gouvernance des systèmes d'information.

Le CIGREF capitalise plus de trente années de savoir professionnel et met à disposition gratuite de la communauté des documents de grande qualité, qui sont autant de guides d’analyse et d’actions ***. Au delà de ctte activité traditionnelle, le CIGREF a engagé, en partenariat avec des organismes universitaires, un programme de recherche. Les « Cahiers de Recherche du Cigref » présentent l'état des recherches impulsées dans le cadre du projet associatif « Cigref 2005 ».

Ce dernier définit quatre objectifs stratégiques :
1 - Permettre à l'entreprise de faire les bons choix S.I. pour améliorer l'usage.
2 - Rééquilibrer les relations entre les entreprises utilisatrices et leurs fournisseurs.
3 - Etre alerté sur les risques et opportunités liés à l'usage des TIC.
4 - Permettre à l'entreprise d'être un acteur de la société de l'information.

Ces lignes force ont engendré le lancement en 2004 d'un programme de recherche dont le thème générique est « la création de valeur par le système d'information ».

Ces exemples ne sont pas exhaustifs. Beaucoup de recherches sont d'origine nord-américaine mais des pays comme le Canada ou la Finlande, qui ont compris les enjeux économiques des systèmes d'information, font des efforts sérieux en ce domaine, le monde universitaire français étant également en mouvement. Cet effort mondial traduit le caractère désormais rigoureux d'une approche des systèmes d'information qui dépasse l'empirisme ou l'anecdote pour construire les conditions d'un investissement pertinent et maîtrisé dans ce levier incontournable de compétitivité que sont les systèmes d'information.

* http://mitsloan.mit.edu/cisr/
A lire :
"IT Governance: How Top Performers Manage IT Decision Rights for Superior Results"
By Peter Weill and Jeanne W. Ross, Harvard Business School Press, 2004
** http://www.isaca.org/
*** http://www.cigref.fr/
Voir également : http://www.afai.asso.fr/


Steve Jobs "tycoon", mais innovateur !

Qu’est ce qui peut encore arrêter Steve Jobs ? Il vient, le 24 janvier 2006, de régler brillamment ses comptes avec Disney en tant que CEO et principal propriétaire de Pixar : la vente de ses actions, en échange d’actions Disney, lui permet de devenir le plus gros actionnaire de Disney et d’entrer à son conseil d’administration. Tout porte à croire que cette opération ne sera pas sans conséquence sur le portage du catalogue Disney sur iTunes. Mais il ne néglige pas pour autant son monde d’origine, Apple.

Steve Jobs est revenu célébrer la gloire de sa machine fétiche, l’iPod, au cours de sa conférence à San Francisco le 10 janvier . Chaque « keynote » est pour lui un moment jubilatoire, parfaitement mis en scène devant un public acquis, lui permettant de savourer avec une modestie fort bien maîtrisée l’étonnant renouveau de sa marque. Sa magistrale intuition de l’impact de la révolution numérique lui a permis de construire pièce par pièce une maîtrise complète de la chaîne de valeur du nouveau modèle de distribution de la musique, et maintenant de la vidéo, les séries et même le sport avec un partenariat avec ABC. iTunes représente 83% du marché de la musique en ligne, permettant à Jobs d’entrer dans la famille des grands « tycoons » monopolistes de l’industrie du numérique qu’il n’a pourtant cessé de pourfendre. Il faut lui reconnaître que cette nouvelle situation est le fruit d’une réelle prise de risque pour innover et s’imposer dans un marché à l'origine totalement inexistant mais au potentiel considérable.

Il vient d’annoncer les résultats les plus brillants de l’histoire d’Apple, chaque trimestre lui permettant de montrer des chiffres encore plus spectaculaires que le précédent, 5,7 milliards $ de chiffres d’affaires pour le seul dernier trimestre 2005 et un profit net de 565 millions $.
Les données sont incontestables : 42 millions d’iPod vendus depuis l’origine, dont c’est la cinquième génération vendus, dont 32 millions en 2005 et, mieux encore, 14 millions au dernier trimestre 2005 pour la période des fêtes. Ceci représente 100 iPod vendus par minute dans le monde et 3 millions de titres vendus chaque jour sur iTunes. L’iPod est une « cash machine » qui génère chiffre d’affaires et marge, mais donne aussi à Apple, grâce à "l'écosystème" iPod une robuste position dans la production et diffusion de musique à travers de multiples partenariats avec des éditeurs de contenus, mais aussi des "producteurs de support", comme les fabricants de matériel audio ou... les constructeurs automobiles.

Mais c’est aussi un excellent support d’image qui ramène aux autres produits de la marque un public qui commence à bouder un marché du PC sans éclat et sans innovation. Le Mac reste le cœur de la marque. C’est désormais plus qu’un ordinateur, mais une machine multimédia visant aussi bien le marché professionnel, avec les logiciels photos, comme Aperture, ou les suites vidéo, que le grand public. Et la vente d’ordinateurs a cru de 20 % pour atteindre 1,25 millions en T4 2005.

Jamais avare d’une pirouette, Apple nous explique suavement que le processeur Intel de ses machines est quatre fois plus rapide que le G5, qui, naguère, mais qui s’en souvient, pulvérisait, chrono en mains, les piètres performances des PC au moteur… Intel. La magie du marketing est sans limite, mais Apple saura sûrement trés bien exploiter à son tour le fameux "Intel inside" !

Evidemment ce succès attise les jalousies, la riposte s’organise, Sony a tenté une offensive avec son baladeur et c’est aujourd’hui Samsung, à qui aucun secteur de l’électronique n’échappe, qui lance une copie du nano, le YP-Z5. Et tous les constructeurs, au nombre de 256, se coalisent pour développer leurs propres standards contre celui d’Apple.

Steve n'est pas inquiet. Il pense aux coups suivants. En concluant son key note, il une fois encore démontré son inébranlable confiance dans la marque bientôt trentenaire - elle a été créée le 1er avril 1976 - dans l’essor inexorable du numérique, et dans la fraîcheur intacte de son propre talent.