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Noël numérique


Le cadeau de l’année 2005 aura sans aucun doute été numérique, apportant, dans les foyers des pays développés de la planète, nouveaux objets, nouvelles promesses de plaisirs mais, aussi sûrement, nouveaux soucis. A peine l'euphorie des achats apaisée, dans quelques jours, entre le 5 et 8 janvier 2006, va s’ouvrir avec éclat, comme il se doit à Las Vegas, la grande fête du monde numérique, le Consumer Electronic Show, qui va repousser une fois encore les limites de la technologie dans une débauche fracassante de couleurs et de sons annoncant l'avénement de la haute définition.

Derrière les produits, et la féroce compétiiton entre acteurs, ce sont de nouveaux usages et également un nouveau vocabulaire dont toutes les générations doivent faire l’apprentissage. Les vedettes en sont les diverses déclinaisons et accessoires de l’iPod, dont il s’est vendu, dit-on, un million d'exemplaires par semaine, la console de Sony, PSP, aux prises avec la XBox, les téléviseurs à écran plat « HD ready », le « home cinema » (que les québecois appellent, justement, « cinéma maison »), le téléphone portable « 3G »… Des milliards de dollars auront été échangés, au grand profit des concepteurs californiens et de leurs sous-traitants chinois. Il va sans dire, hélas, que notre débat parlementaire sur la propriété intellectuelle, dont les jeunes générations n’ont cure, ne changera pas grand chose à l'ère du copillage…

Cette frénésie d’achats constitue-t-elle une preuve de la consécration de la société de l’information ou une nouvelle fois démontre-t-elle que la machine à consommer balaye toutes les bonnes intentions. Le moraliste stigmatisera ces achats de produits dont l’obsolescence planifiée conduit à une course vaine – que faire de sa machine de l’année dernière avec ses pitoyables 20 Giga octets de mémoire pour stocker ses chansons quand on peut désormais en avoir 60 avec les bandes annonces vidéo en plus ! -. Le technologue se réjouira de voir l’innovation récompensée et la diffusion des œuvres culturelles simplifiée par la multiplication des supports.

La raison oscille comme toujours entre ces deux pôles. La vague numérique ne cesse de progresser alimentée par la puissance du marketing, la force de séduction de la mode, l'enthousiasme sans borne des moins de 25 ans pour une technique sans cesse plus inventive. Elle est à la fois utile et futile. Elle familiarise des générations entières avec l’usage de produits sophistiqués dont elles ne tirent qu’un plaisir volatile. Elle ne produit certainement pas plus de rigueur et d’inventivité pour faire face aux défis de notre époque. Mais elle ouvre le chemin… Il reste à inventer la destination.


Internet et la presse quotidienne : je t'aime, moi non plus !

La presse quotidienne nationale française souffre depuis plusieurs années d’une désaffection croissante du public. Le lectorat payant ne cesse de diminuer et l’équilibre économique des journaux est de plus en plus précaire, certains titres s’enfonçant, comme France Soir, dans la crise, d’autres ne cessant de se remettre en question comme Libération, qui accumule en 2005 un déficit de 7 millions € ou le Monde, déficitaire depuis 2002.

2002 2005 Variation
Libération 166000 134000 -19,27%
Le Figaro 365000 343000 -6,03%
Le Parisien 516000 504000 -2,33%
France Soir 81000 61000 -24,69%
L’Humanité 50000 54000 8,00%
Le Monde 416000 372000 -10,58%

Diffusion totale France et étranger source OJD

Les causes de cette crise sont nombreuses et anciennes. Si le coût de fabrication et de diffusion sont considérés comme parmi les plus élevés du monde, si le nombre de points de vente est trop faible, cette situation n’est pas récente. En revanche, l’essor de la presse gratuite depuis 2002 (800000 exemplaires de Metro ou 20 Minutes distribués chaque jour en Ile de France), la pression concurrentielle des chaînes d’information continue, radio comme télévision, de même que le développement de l’information sur internet sont venus aggraver une situation déjà précaire. Ces nouveaux média présentent en effet une alternative séduisante, gratuite ou peu coûteuse, et distribuent une information rapide et dépouillée qui séduit un public, souvent jeune, qui délaisse totalement la presse traditionnelle.

Bien que la presse quotidienne nationale française soit depuis longtemps une des plus vulnérables des pays européens, cette situation ne se limite pas à l’hexagone. Dans les années soixante, quatre américains sur cinq lisaient un quotidien, aujourd’hui ils ne sont plus que deux sur cinq. A ce rythme il n’y aura plus de quotidien papier aux Etats-Unis en avril 2040 comme le rappelait Robert Murdoch pressant la profession de se réinventer face à la génération des « natifs de l’ère numérique » au cours d’une conférence devant l’American Society of Newspapers Editors en avril 2005*. La presse allemande connaît également des difficultés, comme l’affaire du Berliner Zeitung, vendu à deux investisseurs britannique et américain, l’a récemment rappelé.

Les professionnels de la presse écrite ne cessent de chercher des parades à ces nouveaux vecteurs de concurrence. Puisque le monde du papier reste coûteux et complexe, ils cherchent dans ce nouveau concurrent qu’est internet une planche de salut. C’est une réponse de même nature que celle des autres activités culturelles où se sont longtemps confondus, pour des raisons techniques, contenu et contenant. La technologie permet de différencier le support physique et l'information produite et maintenant diffusée sous forme numérique. Mais la réponse n’est pas aussi simple. L’information coûte cher et les entreprises de presse doivent trouver des sources de financement fiables.

La première réponse est la recherche systématique de la baisse des coûts. Les techniques de numérisation qui sont apparues dans les salles de rédaction et les imprimeries au début des années quatre-vingt sont à l’origine d’une première vague de rationalisation de la chaîne amont de conception et de production. Malgré ces progrès, le journal reste un support papier coûteux à imprimer et distribuer. Il souffre d’un handicap structurel qui réside dans son incapacité à coller à l’événement et à en donner une représentation multimédia attractive.

Mais la presse traditionnelle a également perdu de son prestige moral et de son influence auprès des jeunes générations. Les journaux doivent se réinventer pour rendre leur support informationnel attirant pour un nouveau public. Les jeunes nés dans le monde de l’internet préfèrent la diversité et souhaitent rester libres de construire leur point de vue à travers diverses sources et échanges que ce soit les blogs ou les forums, et sont plus prompts à fouiller dans les moteurs de recherche qu’à se conformer à un point de vue unique, même numérique.

Pour entretenir des journalistes compétents, capables de susciter un intérêt soutenu face à un public exigeant et volatile, les groupes de presse doivent exploiter toutes les sources de revenu possibles pour financer leur présence active sur la toile : accès à internet payant mais couplé à l’abonnement au journal papier, paiement à la page, recours à la publicité sélective compte tenu d’une meilleure connaissance du public. Ils doivent aussi inventer une manière de faire participer leurs lecteurs à la vie du journal plus moderne et surtout interactive que l’historique courrier des lecteurs. Forums, sondages express, blogs sont explorés avec plus ou moins de bonheur par les titres. Libération comme le New York Times en sont arrivés à la conclusion que leur avenir passait par une transformation en quotidien bi-media, fusionnant les rédactions du journal et de son double internet. Le Monde va avec plus de prudence dans le même sens mais le rapprochement entre la culture des 250 journalistes du quotidien et celle de leurs 30 jeunes confrères du Mode Interactif ne sera sûrement pas évident…

Une autre solution consiste à fournir sur support électronique diffusé par internet exactement le même journal que l’original papier, mais cette formule, écologique, plus souple et facile à consulter (recherche des mots-clefs, loupe de lecture) et stocker, se révèle moins coûteuse pour l’éditeur que la solution papier. C’est la solution adoptée, notamment, par Le Monde ou Libération, qui ont choisi comme fournisseur Newsstand**, qui a d’autres compétiteurs aux Etats-Unis, comme Pressdisplay. com. The New York Times est particulièrement actif dans ce type de diffusion.

Une course de vitesse est engagée : face à l’érosion inéluctable des ventes « papier » il faut conserver l’attrait et la réputation du titre pour attirer un auditoire motivé… ainsi que des financiers et des annonceurs fidèles et patients. L’enjeu est de taille car, avec ou sans papier, la presse est un vecteur essentiel de construction de l’opinion

« Nous demeurons persuadés que de la qualité de l’information dépend celle du débat citoyen. La nature de celui-ci déterminant, en dernière instance, la richesse de la démocratie. »
Ignacio Ramonet

*http://www.newscorp.com/news/news_247.html
**http://www.newsstand.com
http://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/RAMONET