Le sommet mondial de la société de l’information : de Genève à Tunis
19 novembre 2005
La deuxième session du SMSI, qui s’est tenue à Tunis du 16 au 18 novembre 2005, après la première session de Genève, du 10 au 12 décembre 2003, constitue une étape majeure dans le développement des technologies de l’information au service de la collectivité mondiale.
Qualifier le SMSI comme l’a fait la presse française de « sommet de la désinformation » relève du contresens émotionnel. Il serait en effet regrettable que les incidents qui ont opposé journalistes et nervis non identifiés, aussi musclés que zélés, ainsi que les légitimes manifestations des défenseurs tunisiens des droits de l'homme, n’occultent le sens de cette manifestation et l’ampleur de la dynamique mondiale engagée à Genève en 2003 et amplifiée à Tunis. De ce contexte, il faut retenir que la localisation de ce sommet en Afrique, continent à l'écart de la croissance mondiale, est un symbole fort, qui doit largement dépasser les considérations propres au régime en place en Tunisie; il faut aussi admettre la qualité de l’organisation de ce sommet, certes sous large protection policière, mais où pourrait-il en être autrement aujourd'hui ? Il est toutefois évident que la question des libertés publiques dans le monde ne peut être éludée au moment où l’ONU vise pour 2015 la “connectivité globale” alors que plusieurs grands pays, présents à Tunis, s’illustrent pour leurs violations réitérées de la confidentialité des échanges sur le web de leurs concitoyens.
Des images fortes marquent cet événement, à la fois rencontre internationale, sérieuse et policée, foire technologique et vaste forum de pays et de groupes d’opinion. C’est dans cette diversité que réside l’originalité et l’intérêt du SMSI, seule manifestation de l’ONU à drainer plus de 20000 participants représentant les gouvernements, les ONG, le secteur privé et la société civile pour un débat ouvert et sans exclusive. Les grands noms établis de l’industrie, Nokia, HP, Apple, Sun, Alcatel, France Télécom, Microsoft, Cisco voisinent avec les chinois Huawei Technologies ou ZTE Corporation qui ne dissimulent pas leurs ambitions en déployant leur force technique. A côté des entreprises mondiales puissantes qui misent sur l’immense marché que représente le déploiement mondial de la technologie, des stands militants très modestes consacrés au droit des femmes, aux handicapés, aux minorités visibles mettent en avant l’impact de ces techniques sur le développement durable et la solidarité par l’éducation, la santé, la gestion des ressources naturelles, la culture… Serge Tchuruk, président d'Alcatel, succède à la tribune au ministre cubain des télécommunications et des sciences de l'informatique... La liberté de la presse, la lutte contre les répressions sont largement évoquées aussi bien dans les stands des ONG que dans les multiples débats. Il est aussi réconfortant de compter parmi les participants un nombre élevé de femmes qui portent clairement le déplacement des enjeux de la seule sphère technique vers les problèmes de société.
Les stands nationaux offrent un paysage aussi contrasté que les niveaux de développement et d’implication des états dans ce monde nouveau des technologies de l’information. Le stand de la république islamique d’Iran - qui présente un ambitieux programme de développement des technologies de l’information, - jouxte celui de l’USAID (United States Agency for International Development) et celui d’Israël simplement « séparé » par celui de la République Tchèque. La Suisse voisine le modeste Népal. France et Allemagne ont une représentation publique et privée très étoffée, alors que le Japon déploie ses compétences sur les technologies du futur. Les représentants de l’Iran discutent technique avec les chinois de Huawei, et partout dans les salles de réunion et les couloirs, les discussions fusent. Les différentes agences de l’ONU sont également largement représentées : UNESCO, UIT, OMS… C’est un peu la synthèse de Davos et de Porto Alegre sous l’égide des Nations Unies…
L’impact du développement des technologies apparaît ici dans toute sa diversité, son hétérogénéité mais aussi son ambiguïté. Les technologies de l’information permettent de dépasser la notion de frontière territoriale pour créer des flux d’information et de compétences autorisant un partage réel, par tous, des connaissances les plus avancées. En même temps, elles n’effacent pas les différences de niveau de développement qui pénalisent les pays en voie de développement, handicapés par le retard de leurs infrastructures, en commençant par la disponibilité d’énergie électrique. En dehors des villes, un milliard d’être humains ne peuvent passer un simple appel téléphonique et ont un accès aléatoire à l’électricité. Le coût du haut débit est dix fois supérieur en Amérique Latine qu’aux Etats-Unis, et le haut debit totalement absent des zones rurales. Le large bande est bien encore pour la plus grande partie de la population mondiale un rêve inaccessible. Le prototype d’ordinateur à 100 $ présenté par le MIT et le charismatique directeur du Media Lab, Nicholas Negroponte, ouvre une perpective stimulante pour casser les coûts des outils d’accès à l’information.
L'objectif de la deuxième phase du SMSI se veut pratique et consiste à mettre en oeuvre la Déclaration de Principe et le Plan d'Action définis à Genève. Des groupes de travail (PrepCom 1, 2 et 3) ont été mis en place pour élaborer des solutions et parvenir à des compromis dans le cadre de la gouvernance de l'Internet et des mécanismes de financement. Les sessions plénières, qui sacrifient au rituel des négociations internationales, laissent un vaste champ aux diplomates des états et des institutions internationales pour se déchirer à l’infini sur ce qui peut apparaître comme des nuances linguistiques opposant notamment les Etats-Unis et la Chine sous le regard de l’Union Européenne. Ces joutes dissimulent bien entendu une féroce compétition pour contrôler le puissant levier que constitue désormais Internet. Néanmoins, à l’issue des débats, les 170 pays participants au Sommet se sont entendus pour adopter une déclaration de principe, « l’Engagement de Tunis », qui réaffirme le principe, déjà posé à Genève « d’édifier une société de l’information à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement ». Les « technologies de l’information constituent des outils efficaces pour promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité et pour renforcer la démocratie, la cohésion sociale et la bonne gouvernance » et “jouent un role fondamental dans la croissance économique” en renforcant les échanges commerciaux et créant davantage d’emplois qualifiés. Ce "texte catalogue" soulève en fait toutes les questions engendrées par un projet global de développement solidaire et durable de la planète, principes déjà définis dans la Déclaration du Millénaire, approuvée par l’assemblée générale des Nations Unies en septembre 2000, dont la mise en oeuvre des TIC n’est qu’un facteur accélérateur et fédérateur.
“L’Agenda de Tunis pour la société de l’information” aborde la dimension opérationnelle du SMSI. Un “groupe d’action sur les mécanismes de financement” est créé pour définir les mécanismes financiers permettant de contribuer à réduire la fracture numérique et de permettre la création d’un “fonds de solidarité numérique”. Le débat sur la gouvernance d’internet est provisoirement tranché par une demi-mesure, satisfaisante pour tous, qui consiste à renvoyer dos-à-dos les Etats-Unis, favorable au maintien du contrôle privé sur l’infrastructure et les noms de domaine, et la plupart des états souhaitant une gouvernance multilatérale confiée à l’ONU. Le principe est réaffirmé : « l'Internet est devenu une ressource publique mondiale et sa gouvernance devrait constituer l'une des priorités essentielles de la société de l'information. La gestion internationale de l'Internet devrait s'opérer de façon multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales. Elle devrait assurer une répartition équitable des ressources, faciliter l'accès de tous et garantir le fonctionnement stable et sécurisé de l'Internet, dans le respect du multilinguisme. « (art.29)
C’est au secrétaire général de l’ONU de proposer la meilleure solution sous six mois en rassemblant toutes les parties prenantes dans un nouveau forum, le Forum sur la gouvernance de l’Internet. Une première réunion se tiendra à Athènes au printemps 2006. Il est clair que l’Union internationale des Télécommunications brûle de devenir l’organe public international de contrôle et ne manquera pas de continuer son lobbying pour que cette solution émerge de ce processus.
Ce texte couvre, dans ses 122 articles, la totalité du champ de la société de l’information. Tout réside désormais dans la poursuite de cet échange et de la capacité de mobilisation des acteurs. Ainsi, ultime decision, le 17 mai sera la Journée mondiale de la société de l’information. Une occasion de faire le point sur l’avancement de ce magnifique et ambitieux catalogue de propositions ?
”Auparavant, les Nations Unies ne traitaient qu’avec les gouvernements. Aujourd’hui, nous savons que la paix et la prospérité ne peuvent être réalisées sans un partenariat mettant à contribution les gouvernements, les organisations internationales, le monde des affaires et la société civile. Dans le monde d’aujourd’hui, nous dépendons tous les uns des autres.” Koffi Annan
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