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Le sommet mondial de la société de l’information : de Genève à Tunis

La deuxième session du SMSI, qui s’est tenue à Tunis du 16 au 18 novembre 2005, après la première session de Genève, du 10 au 12 décembre 2003, constitue une étape majeure dans le développement des technologies de l’information au service de la collectivité mondiale.

Qualifier le SMSI comme l’a fait la presse française de « sommet de la désinformation » relève du contresens émotionnel. Il serait en effet regrettable que les incidents qui ont opposé journalistes et nervis non identifiés, aussi musclés que zélés, ainsi que les légitimes manifestations des défenseurs tunisiens des droits de l'homme, n’occultent le sens de cette manifestation et l’ampleur de la dynamique mondiale engagée à Genève en 2003 et amplifiée à Tunis. De ce contexte, il faut retenir que la localisation de ce sommet en Afrique, continent à l'écart de la croissance mondiale, est un symbole fort, qui doit largement dépasser les considérations propres au régime en place en Tunisie; il faut aussi admettre la qualité de l’organisation de ce sommet, certes sous large protection policière, mais où pourrait-il en être autrement aujourd'hui ? Il est toutefois évident que la question des libertés publiques dans le monde ne peut être éludée au moment où l’ONU vise pour 2015 la “connectivité globale” alors que plusieurs grands pays, présents à Tunis, s’illustrent pour leurs violations réitérées de la confidentialité des échanges sur le web de leurs concitoyens.

Des images fortes marquent cet événement, à la fois rencontre internationale, sérieuse et policée, foire technologique et vaste forum de pays et de groupes d’opinion. C’est dans cette diversité que réside l’originalité et l’intérêt du SMSI, seule manifestation de l’ONU à drainer plus de 20000 participants représentant les gouvernements, les ONG, le secteur privé et la société civile pour un débat ouvert et sans exclusive. Les grands noms établis de l’industrie, Nokia, HP, Apple, Sun, Alcatel, France Télécom, Microsoft, Cisco voisinent avec les chinois Huawei Technologies ou ZTE Corporation qui ne dissimulent pas leurs ambitions en déployant leur force technique. A côté des entreprises mondiales puissantes qui misent sur l’immense marché que représente le déploiement mondial de la technologie, des stands militants très modestes consacrés au droit des femmes, aux handicapés, aux minorités visibles mettent en avant l’impact de ces techniques sur le développement durable et la solidarité par l’éducation, la santé, la gestion des ressources naturelles, la culture… Serge Tchuruk, président d'Alcatel, succède à la tribune au ministre cubain des télécommunications et des sciences de l'informatique... La liberté de la presse, la lutte contre les répressions sont largement évoquées aussi bien dans les stands des ONG que dans les multiples débats. Il est aussi réconfortant de compter parmi les participants un nombre élevé de femmes qui portent clairement le déplacement des enjeux de la seule sphère technique vers les problèmes de société.

Les stands nationaux offrent un paysage aussi contrasté que les niveaux de développement et d’implication des états dans ce monde nouveau des technologies de l’information. Le stand de la république islamique d’Iran - qui présente un ambitieux programme de développement des technologies de l’information, - jouxte celui de l’USAID (United States Agency for International Development) et celui d’Israël simplement « séparé » par celui de la République Tchèque. La Suisse voisine le modeste Népal. France et Allemagne ont une représentation publique et privée très étoffée, alors que le Japon déploie ses compétences sur les technologies du futur. Les représentants de l’Iran discutent technique avec les chinois de Huawei, et partout dans les salles de réunion et les couloirs, les discussions fusent. Les différentes agences de l’ONU sont également largement représentées : UNESCO, UIT, OMS… C’est un peu la synthèse de Davos et de Porto Alegre sous l’égide des Nations Unies…

L’impact du développement des technologies apparaît ici dans toute sa diversité, son hétérogénéité mais aussi son ambiguïté. Les technologies de l’information permettent de dépasser la notion de frontière territoriale pour créer des flux d’information et de compétences autorisant un partage réel, par tous, des connaissances les plus avancées. En même temps, elles n’effacent pas les différences de niveau de développement qui pénalisent les pays en voie de développement, handicapés par le retard de leurs infrastructures, en commençant par la disponibilité d’énergie électrique. En dehors des villes, un milliard d’être humains ne peuvent passer un simple appel téléphonique et ont un accès aléatoire à l’électricité. Le coût du haut débit est dix fois supérieur en Amérique Latine qu’aux Etats-Unis, et le haut debit totalement absent des zones rurales. Le large bande est bien encore pour la plus grande partie de la population mondiale un rêve inaccessible. Le prototype d’ordinateur à 100 $ présenté par le MIT et le charismatique directeur du Media Lab, Nicholas Negroponte, ouvre une perpective stimulante pour casser les coûts des outils d’accès à l’information.

L'objectif de la deuxième phase du SMSI se veut pratique et consiste à mettre en oeuvre la Déclaration de Principe et le Plan d'Action définis à Genève. Des groupes de travail (PrepCom 1, 2 et 3) ont été mis en place pour élaborer des solutions et parvenir à des compromis dans le cadre de la gouvernance de l'Internet et des mécanismes de financement. Les sessions plénières, qui sacrifient au rituel des négociations internationales, laissent un vaste champ aux diplomates des états et des institutions internationales pour se déchirer à l’infini sur ce qui peut apparaître comme des nuances linguistiques opposant notamment les Etats-Unis et la Chine sous le regard de l’Union Européenne. Ces joutes dissimulent bien entendu une féroce compétition pour contrôler le puissant levier que constitue désormais Internet. Néanmoins, à l’issue des débats, les 170 pays participants au Sommet se sont entendus pour adopter une déclaration de principe, « l’Engagement de Tunis », qui réaffirme le principe, déjà posé à Genève « d’édifier une société de l’information à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement ». Les « technologies de l’information constituent des outils efficaces pour promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité et pour renforcer la démocratie, la cohésion sociale et la bonne gouvernance » et “jouent un role fondamental dans la croissance économique” en renforcant les échanges commerciaux et créant davantage d’emplois qualifiés. Ce "texte catalogue" soulève en fait toutes les questions engendrées par un projet global de développement solidaire et durable de la planète, principes déjà définis dans la Déclaration du Millénaire, approuvée par l’assemblée générale des Nations Unies en septembre 2000, dont la mise en oeuvre des TIC n’est qu’un facteur accélérateur et fédérateur.

“L’Agenda de Tunis pour la société de l’information” aborde la dimension opérationnelle du SMSI. Un “groupe d’action sur les mécanismes de financement” est créé pour définir les mécanismes financiers permettant de contribuer à réduire la fracture numérique et de permettre la création d’un “fonds de solidarité numérique”. Le débat sur la gouvernance d’internet est provisoirement tranché par une demi-mesure, satisfaisante pour tous, qui consiste à renvoyer dos-à-dos les Etats-Unis, favorable au maintien du contrôle privé sur l’infrastructure et les noms de domaine, et la plupart des états souhaitant une gouvernance multilatérale confiée à l’ONU. Le principe est réaffirmé : « l'Internet est devenu une ressource publique mondiale et sa gouvernance devrait constituer l'une des priorités essentielles de la société de l'information. La gestion internationale de l'Internet devrait s'opérer de façon multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales. Elle devrait assurer une répartition équitable des ressources, faciliter l'accès de tous et garantir le fonctionnement stable et sécurisé de l'Internet, dans le respect du multilinguisme. « (art.29)
C’est au secrétaire général de l’ONU de proposer la meilleure solution sous six mois en rassemblant toutes les parties prenantes dans un nouveau forum, le Forum sur la gouvernance de l’Internet. Une première réunion se tiendra à Athènes au printemps 2006. Il est clair que l’Union internationale des Télécommunications brûle de devenir l’organe public international de contrôle et ne manquera pas de continuer son lobbying pour que cette solution émerge de ce processus.

Ce texte couvre, dans ses 122 articles, la totalité du champ de la société de l’information. Tout réside désormais dans la poursuite de cet échange et de la capacité de mobilisation des acteurs. Ainsi, ultime decision, le 17 mai sera la Journée mondiale de la société de l’information. Une occasion de faire le point sur l’avancement de ce magnifique et ambitieux catalogue de propositions ?

”Auparavant, les Nations Unies ne traitaient qu’avec les gouvernements. Aujourd’hui, nous savons que la paix et la prospérité ne peuvent être réalisées sans un partenariat mettant à contribution les gouvernements, les organisations internationales, le monde des affaires et la société civile. Dans le monde d’aujourd’hui, nous dépendons tous les uns des autres.” Koffi Annan

http://smsi.internet.gouv.fr
http://smsitunis2005.org
http://www.itu.int



Les Européens et les technologies de l'information

Eurostat vient de publier en octobre 2005 son "enquête communautaire sur l'utilisation des TIC dans les ménages et par les particuliers". Ces données ont été collectées en août 2005. Comment évolue la fracture numérique en Europe ?

Aucune révélation spectaculaire dans ce constat exhaustif qui confirme les tendances déjà établies : les jeunes, les diplômés, les actifs, en milieu urbain, sont les utilisateurs les plus assidus de PC et d'internet ! La présence d'enfants est un facteur amplificateur. La différence homme/femme tend à s'estomper complétement. Les pays du nord sont champions du PC et de l'internet alors que le sud reste encore réfractaire. L'utilisation d'internet tend à se confondre avec celle du PC. Les grandes entreprises ( > 250 employés) sont connectées à internet à 99% et les PME les rattrapent.

54% des ménages de l'Union Européenne possédent un ordinateur à domicile et 43% sont connectés à internet. Les ménages avec enfant disposent pour 70% d'un ordinateur personnel alors que ceux qui n'ont pas d'enfant ne sont que 46% à en posséder. Mais cette répartition moyenne cache de trés fortes disparités. Dans un groupe de pays avancés, deux ménages sur trois possédent un PC, et plus de 50% sont connectés à internet; il s'agit du Danemark (79%), de l'Allemagne (69%), du Luxembourg, des Pays-Bas, du Royaume-Uni. Dans ces pays, les ménages avec enfants sont pratiquement tous équipés d'un PC. Ainsi en Allemagne, 91 % des foyers ont un PC. Un second groupe se situe au dessous de 30% : Lettonie, Lituanie, Hongrie. La France se situe dans la moyenne avec 50 % de possédants de PC. Dans tous les pays, les contrastes sont trés forts entre les zones urbaines, les premières à avoir bénéficié de connexions haut débit, et les zones rurales. La connexion à internet hors domicile compense le faible taux de possesion pour les pays ou pour les catégories sociales les moins avancés. Un utilisateur sur quatre se connecte ainsi en Europe hors domicile, en entreprise, dans les lieux publics, lieux de formation ou cybercafés.

L'Islande confirme son avance toute catégorie : 94 % des ménages avec enfant ont un PC, 91 % sont connectés à internet ! L'Estonie et la Slovaquie rattrapent le moyenne européenne. Les pays candidats, comme la Roumanie, la Bulgarie ou encore la Turquie, se situent trés au dessous des pays les moins performants de l'UE à 25.

Le degré de formation est un facteur amplificateur de l'usage du PC et d'internet. Si en moyenne, les personnes trés diplomées utilisent pour plus de 84% internet et un PC, ce taux tombe à 62% pour les personnes moyennement instruites et 31 % pour les personnes peu éduquées. Les étudiants européenes utilisent internet et un PC pour plus de 90% d'entre eux, ce taux tombant à moins de 20 % pour les retraités.

Naturellement , les pays les mieux équipés sont ceux où le commerce électronique a rencontré le plus d'adeptes : Luxembourg, Suéde, Allemagne et Royaume-Uni, où plus de 30 de la population a recours au e-commerce.

L'Europe faite apparaître des disparités dans l'usage des technologies de l'information qui sont de même nature que sur les autres critères de performance. L'éducation, l'appartenance aux milieux aisés urbains, le niveau de vie et d'équipement global du pays induisent une utilisation différenciée des techniques de la société de l'information, qui à leur tour, accentuent les possibiltés d'éducation et d'innovation. Il est évident que l'investissement dans les infrastructures technologiques, s'il constitue un pré-requis, impose une vigoureuse politique éducative pour toucher toute la population et faire évoluer les comportements d'usage.

http://epp.eurostat.cec.eu.int


Le monde magique des télécommunications


Le « 22 à Asnières » est définitivement une référence que les adolescents ne peuvent pas comprendre ! En deux décennies, nous sommes passés, dans la trés grande majorité des pays, d’une ère de pénurie de téléphone, gérée de façon malthusienne pas des monopoles publics coûteux et poussiéreux, assujettissant les usagers captifs à d’intolérables contraintes de service et de tarif au nom du dogme du "service public", à une ère de communication facile, omniprésente et peu coûteuse. Nous sommes sortis du monde unidimensionnel du téléphone vocal fixe, point à point, avec une consommation (sur)facturée à la durée, pour entrer dans un monde multi-usages, multi-canaux, multi-tarifs avec un coût d’usage beaucoup plus abordable, parfois même gratuit. Ce n'est que le début. Plus encore que la révolution de la communication entre personnes, c’est demain la communication entre machines qui apportera une nouvelle gamme de services novateurs. Le téléphone portable sera ainsi le porte-monnaie de chacun, permettant de payer des services en relation directe avec des automates, mais aussi d’ouvrir sa porte d’appartement ou de démarrer sa voiture.

Cette ère d’abondance, nourrie par une technologie extrêmement performante et innovante, ouvre des perspectives nouvelles que nous commençons seulement à embrasser dans leur globalité.

Le XXIe siècle s’affirme incontestablement comme le siècle des télécommunications. Il y a naturellement une fascination compréhensible pour les facilités d’usage qu’apportent ensemble aujourd’hui le téléphone portable et internet. Les services de communication que les réseaux fixes et sans fil supportent sont sans limite, dès maintenant et plus encore dans le futur immédiat : voix, image, données, télévision, musique… Il n’est plus raisonnablement possible, en dehors d’une poignée d’irréductibles grincheux, de se passer dans la vie domestique et surtout professionnelle du recours à ces outils pour la plupart des tâches courantes. Les consommateurs plébiscitent les outils de communication sous toutes leurs formes. La croissance du marché, et de l’usage, sur une période aussi courte, n’a pas de précédent dans l’histoire des techniques ! Est-il nécessaire de rappeler les données chiffrées ? La planète, selon l’Union internationale des télécommunications*, organisme de l’ONU qui siége à Genève, compte plus de 700 millions d’utilisateurs d’internet, dont plus de 100 millions à haut débit. Or internet n'a que dix ans ! Il faut également comptabiliser 1,5 milliards d’abonnés au téléphone mobile.

Ce succès est dû à la rencontre de trois séries de facteurs :
- Une vague puissante d’innovation technologique
C’est le moteur de cette révolution. La numérisation de toutes les informations qui permet de faire circuler sur la même infrastructure avec le même protocole, le réseau IP, des données informatiques classiques en même temps que la voix, le son et l’image, avec des débits suffisants pour supporter des volumes élevés et apporter un confort d’utilisation satisfaisant. La convergence autour du protocole IP permet de regrouper toutes ces technologies dans un environnement unique..
Le passage au haut débit grâce à l’ADSL a révolutionné l’usage d’internet et conduit de nouveaux utilisateurs à exploiter le potentiel de cet outil ! Il suffit de revenir temporairement à une liaison commutée, par le téléphone classique, pour comprendre pourquoi…
La révolution du téléphone mobile est aussi alimenté par une technologie simple d'accès, des coûts trés accessibles, les appareils étant largement subventionnés par les prestataires de services, et des services commodes. Le standard GSM a apporté mondialement au téléphone portable une infrastructure suffisamment robuste et économique pour faire exploser le marché… que les générations technologiques suivantes (G3, G4) continueront à faire évoluer. Wi-Fi et demain Wi-MAX apportent la souplesse d’usage de la mobilité au sein d’espaces privés et publics de plus en plus vastes.

- La fin des monopoles publics et la baisse des coûts
Engagée grâce à une politique mondiale de dérégulation engagée par la Grande-Bretagne dès 1984 et les Etats-Unis avec le démantèlement d’AT&T en 1984 sous le président Reagan puis leTelecommunication Act de 1996, qui a conduit de nouveaux arrivants sur le marché à proposer des solutions techniques et tarifaires innovantes, rapidement imités d’ailleurs par les acteurs historiques soudain réveillés par l’aiguillon de la concurrence. Le marché se recompose autour d’acteurs internationaux, en charge des infrastructures lourdes, et des acteurs locaux qui distribuent cette énergie en proposant des « packages » de services. L’ART (http://www.art-telecom.fr/), crée par la loi du 26 juillet 1996, devenue Autorité de régulation des Communications électroniques et des Postes (ARCEP) par la loi du 21 mai 2005, a joué en France un rôle essentiel pour "favoriser l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale". Initialement contestée par l'opérateur national, cette ouverture à la concurrence, parfois maladroite, a transformé le paysage des télécommunications et a stimulé France Télécom pour s’adapter et tirer intelligemment profit du nouveau paysage concurrentiel en gérant par l'innovation et la croissance l’inéluctable contraction de sa part de marché.

- La diversification de l’offre
Opérateurs de service, fabricants de matériels et éditeurs de logiciel conjuguent leurs imaginations pour proposer une offre technique et tarifaire très complète et attractive, même si elle demeure encore trop souvent opaque et complexe. Mais, même conscient d’être dupé par certaines offres, alerté par les associations de consommateurs, le consommateur se rue avec délectation sur les innovations, nouveaux produits comme nouveaux services, valorisant car symboles de modernité et d’ouverture même si le caractère ludique ou l’esthétique l’emportent souvent sur l’utilité effective et la facilité d’emploi. Il suffit de voir de très sérieux membres des comités de direction de grandes entreprises comparer avec gourmandise leur dernier téléphone portable : mine is smarter than yours !

Certes, tout n’est pas rose dans le monde des télécommunications. Il est difficile en premier lieu pour les acteurs et opérateurs eux-mêmes qui ont du brutalement engager une profonde transformation de leurs organisations, de leurs méthodes, de leurs effectifs. La crise du début des années 2000 a durement frappé et de nombreux acteurs ont disparu. Si la consolidation du secteur, pourtant intense, est loin d’être achevée, de nouveaux acteurs se présentent toujours avec beaucoup d’ambition.

Si cette transformation est séduisante, elle a une face plus sombre. Ces services protéiformes qui se multiplient soulèvent en effet des problèmes d’ordre individuel mais posent aussi des questions d’éthique collective.
L’usage invasif et quasi-permanent des ces outils, de plus en plus légers, de plus en plus mobiles, y compris dans les trains et même les avions, jusqu’alors havres de paix, soulève de multiples interrogations sur le comportement individuel en société, sur les frontières vie privée/vie professionnelle, sur la discrétion et la confidentialité. Se posent également des questions plus graves sur l’accoutumance et ses conséquences autant comportementales qu’économiques sur les personnes. Le poste « communication » prend une place croissante dans le budget des ménages, souvent les plus fragiles économiquement, mais aussi dans les entreprises, les volumes non maîtrisés compensant la baisse du coût unitaire. La fragilisation du lien social, les risques de santé, incertains mais qu’on ne peut négliger, peuvent avoir un impact fort, là encore sur les populations fragiles, notamment enfants et adolescents.

L’accès anonyme aux informations facilite naturellement la vie des « bad guys » de toutes obédiences. Le terrorisme, les mafias, les escrocs et trafiquants de tout genre ont vite trouvé dans la mobilité et l’anonymat des réseaux un espace virtuel où ils peuvent aisément développer leurs coupables activités. La e-criminalité est une réalité, mais le problème de l’usage des technologies par les déviants n’est pas nouveau et ni les attaques de train, ni le gang des tractions n’ont interrompu l’expansion du transport…Mais la e-criminalité justifie le renforcement du contrôle policier sur toutes les activités, lecture de courriels, traçabilité de toutes les transactions et déplacements, ranimant le syndrome Big Brother associé aux technologies de l’information, comme on le voit aux Etats-Unis depuis le 11 septembre avec le Patriot Act du 26 octobre 2001.

Aussi, la protection des personnes, des biens, mais aussi de l’image - marque, réputation - représente une dimension à prendre en compte avec sérieux et précision dans le pilotage de l’expansion des outils de communication d’entreprise, C’est aussi un enjeu clair des politiques publiques au niveau international. La gestion de ces risques passe d’ailleurs par la prévention et l’éducation au moins autant que par de coûteuses mesures techniques, dont il faut éviter une inutile escalade.

Ces risques ne doivent pas être sous-estimés mais ne doivent pas justifier l’inaction. Aucun responsable technologique ne peut négliger les contraintes et limitations qui touchent l’intégrité physique et mentale des personnes comme la qualité de la vie sociale. Mais l’extraordinaire explosion des échanges autorisée par la multiplication des outils de communication en réseau est génératrice de valeur. Selon Robert Metcalfe, la valeur d’un réseau varie avec le carré du nombre de personnes connectées. Il y a déjà en Chine plus d’abonnés au téléphone portable ( 310 millions) que de citoyens des Etats-Unis. Le monde de la connaissance ne peut que s’enrichir par la multiplication des échanges… Ceci mérite que la communauté mondiale gère ce potentiel avec discernement !

* http://www.itu.int/itunews/


La grande convergence

Depuis si longtemps annoncée, timidement amorcée à plusieurs reprises par des annonces spectaculaires mais des démarrages sans lendemain, la convergence des industries électroniques et informatiques s’accélère de façon concrète depuis quelques mois. Dans la perspective des fêtes de fin d’année où la bataille va se jouer dans les rayons des magasins de « brique et de ciment « (« brick and mortar ») mais aussi dans les magasins en ligne, tout est désormais « digital » ou mieux, pour les francophones, "numérique" sans que les appellations ne soient bien contrôlées ou légitimes.

Le cadre technique est désormais assez simple et stable dans ses fondamentaux : toute information – image fixe ou animée, son, donnée - est aujourd’hui numérisée, et a la capacité à être produite, stockée, diffusée, restituée sous forme numérique jusqu’au stade final de sa présentation analogique, car, pour le moment, le récepteur humain fonctionne encore avec des capteurs analogiques qui s’appellent l’œil et l’oreille. La chaîne de traitement numérique comprend les outils d’acquisition (micro-ordinateur, caméra, scanner, appareil téléphonique…), les logiciels de traitement, les systèmes de diffusion et de stockage, et les périphériques de restitution (écran, imprimante, haut-parleur...) et embrasse ainsi une multitude d’industries et d’acteurs.

La dimension économique de la convergence numérique présente un paysage beaucoup plus complexe. Aucun acteur ne veut, bien entendu, renoncer à sa position traditionnelle dans son marché historique et compartimenté - ordinateur, appareil photo, caméscope, téléviseur, systèmes haute-fidélité, logiciels, réseaux, imprimantes…- mais ne peut sous-estimer les risques majeurs qu’il encourt en ne saisissant pas les opportunités offertes par les techniques des autres secteurs pour développer de nouveaux produits et services.
La recherche d’interopérabilité entre les différents vecteurs est une première dimension, et génère une bataille de standards, comme pour la musique entre Apple et son AAC (Advanced Audio Codec) et Microsoft et son WMA (Windows Media Audio), entre QuickTime d'Apple, Windows Media Player de Microsoft ou Realnetworks pour la vidéo, ou encore le stockage sur DVD de vidéo haute-définition entre Sony et les autres. Il faut également tenir compte des habitudes des consommateurs, qui ne sont pas encore convaincus de l’intérêt de regarder le « Titanic » sur une écran microscopique de téléphone portable ni de faire des textes Word sur le téléviseur de la salle à manger, et qui ne se comportent pas de la même manière au Japon, aux Etats-Unis ou en Europe. Enfin, industriels, prestataires de service et fournisseurs de contenu sont condamnés à coopérer tout en cherchant chacun à capter la plus grande part de la valeur ajoutée. Ce sont des luttes aussi violentes qu’ambiguës dans un marché où la coopétition est la règle.

Toutefois si la maîtrise de la technicité est accessible par tous les grands professionnels du secteur, la cohérence de leur image de marque, la logique de leurs canaux de distribution ne leur permettent de franchir impunément toutes les frontières sans compromettre dangereusement leur identité. Ainsi beaucoup d’acteurs du « contenant », qui voient leur marge s’effriter sous l’effet d’une concurrence acharnée rêvent de maîtriser également le « contenu », censé être plus rémunérateur. L’exemple de l’iPod et de la diffusion de musique par un logiciel (iTunes) associé à un magasin de musique en ligne (Music Store) constitue aujourd’hui la référence même si les profits restent encore essentiellement générés par « l’objet » désormais culte iPod.

Il y a ainsi une reconfiguration dynamique de la chaîne de valeur qui remet en question de façon brutale les positions acquises, bouscule les images de marque et souvent désarçonne le consommateur en quête au moins autant d’innovations utiles et d’usages maîtrisables sans doctorat d’informatique que d’une certaine pérennité de ses investissements matériels comme de la pérennité de ses contenus.

Pour les professionnels de l’informatique, qui regardent avec scepticisme ce tintamarre marchand, les conséquences sont beaucoup plus directes qu’il n’y paraît. Les grands acteurs de l’informatique d’entreprise, comme HP, Dell ou Microsoft, se battent avec acharnement sur le marché des consommateurs et y consacrent énergie et ressources qui peuvent les détourner de leurs clients d’entreprise. Il n’est pas évident que ceux-ci aient beaucoup à gagner pour enrichir leurs propres processus des joutes mortelles qui se prolongent entre HP et Dell sur le terrain des téléviseurs ou des imprimantes photos, ou de l’offensive de Microsoft sur le marché des consommateurs avec son Media Center PC. Mais peut-on encore l’affirmer avec tant de certitude?

Il est clair que la « grande convergence » va bouleverser les règles du marché des technologies de l’information, mais aussi façonner les attentes et exigences d’une nouvelle génération d’utilisateurs. Nous y consacrerons dans les semaines à venir plusieurs thèmes...