Le mot « ordinateur » a 50 ans
11 octobre 2005
Cet anniversaire symbolique est passé (presque) inaperçu, mais, alors que les ordinateurs sont désormais omniprésents dans la vie quotidienne, il est intéressant de se rappeler que le mot "ordinateur" a trouvé sa place dans la langue française dès 1955, époque où ces machines étaient totalement ignorées du grand public.
Les premières recherches pour développer des machines à automatiser les calculs sont apparues dans les domaines d’activité qui utilisaient des tables de calcul spécialisées, comme la navigation maritime ou l’astronomie. Ces tables produites à la main par des réseaux de personnes et, malgré le recours systématique au double calcul, n’étaient pas sans erreur. Il était vital d'en accélérer la production et de les fiabiliser, ce qui a justifié de multiples recherches d'automates pouvant produire des calculs. A l’origine, dès le XVIIe siècle, le mot anglais « computer » signifiait la « personne qui calcule ». En 1897, on a adopté logiquement le terme « computer » pour désigner une « machine à calculer mécanique », puis en 1946 une « machine à calculer électronique ».
Le terme français a une origine très précise. IBM France se préparait à lancer en 1955 sa première machine de traitement de données électronique ( « Electronic Data Processing System » ou EDPS) et cherchait à lui donner une dénomination commerciale en langue française. Le président d’IBM France interrogea le professeur de philologie latine à la Sorbonne, Jacques Perret, qui répondit le 16 avril 1955. Conservé pendant quelques mois comme appellation commerciale pour désigner l’« ordinateur IBM 650 » le terme ordinateur est rapidement devenu public et a immédiatement était retenu par le petit groupe de professionnels qui à cette époque était en contact avec ces outils.
Le texte de ce document historique a été publié par IBM.
« Cher Monsieur,
Que diriez-vous d'"ordinateur" ? C'est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l'ordre dans le monde. Un mot de ce genre a l'avantage de donner aisément un verbe "ordiner", un nom d'action "ordination". L'inconvénient est que "ordination" désigne une cérémonie religieuse; mais les deux champs de signification (religion et comptabilité) sont si éloignés et la cérémonie d'ordination connue, je crois, de si peu de personnes que l'inconvénient est peut-être mineur. D'ailleurs votre machine serait "ordinateur" (et non ordination) et ce mot est tout a fait sorti de l'usage théologique.
"Systémateur" serait un néologisme, mais qui ne me paraît pas offensant; il permet "systémation" ; - mais systémer ne me semble guère utilisable -.
"Combinateur" a l'inconvénient du sens péjoratif de "combine" ; "combiner"est usuel donc peu capable de devenir technique ; "combination" ne me paraît guère viable a cause de la proximité de "combinaison". Mais les Allemands ont bien leurs "combinats" (sorte de trusts, je crois), si bien que le mot aurait peut-être des possibilités autres que celles qu'évoque "combine".
"Congesteur", "digesteur" évoquent trop "congestion" et "digestion".
"Synthétiseur" ne me parait pas un mot assez neuf pour désigner un objet spécifique, déterminé comme votre machine. En relisant les brochures que vous m'avez données, je vois que plusieurs de vos appareils sont désignés par des noms d'agent féminins (trieuse, tabulatrice). "Ordinatrice" serait parfaitement possible et aurait même l'avantage de séparer plus encore votre machine du vocabulaire de la théologie. Il y a possibilité aussi d'ajouter à un nom d'agent un complément: "ordinatrice d'éléments complexes" ou un élément de composition, par ex.: "sélecto-systémateur". "Sélecto-ordinateur" a l'inconvénient de 2 « o « en hiatus, comme "électro-ordinatrice".
Il me semble que je pencherais pour "ordinatrice électronique". Je souhaite que ces suggestions stimulent, orientent vos propres facultés d'invention. N'hésitez pas à me donner un coup de téléphone si vous avez une idée qui vous paraisse requérir l'avis d'un philologue. »
Voilà, on retrouve bien là le sexisme technologique ! Dire que cette machine sublime, certes un peu fantasque... aurait pu être féminin !
Comment expliquez-vous ce côté fantasque dans ce qui devrait être on ne peut plus... binaire !
Rédigé par : Camille | 17 octobre 2005 à 22:11
Ce texte est vraiment intéressant à plus d'un titre. D'abord il est daté : 1955, dix ans après la naissance de la machine de von Neumann à l'issue de la guerre. C'est encore la fascination fébrile pour la technique, parée de toutes les vertus et objet de tous les désirs !
Ensuite c'est une époque où les femmes n'avaient pas encore un statut égalitaire, et même si la situation est encore imparfaite, un chemin immense a été fait.
Enfin, nous sommes à l'aube de l''informatique, les machines sont rares, complexes, chères, secrètes... Les noms de baptême évoqués, les plus sophistiqués et les plus exotiques, renvoient à cette situation fantasmatique et magique.
Rédigé par : Jean-Pierre Corniou | 18 octobre 2005 à 16:19
Je suis tout à fait d'accord quant à l'intérêt de ce texte et surtout en ce qu'il reflète un passé pourtant pas si lointain, même s'il nous semble aujourd'hui antédiluvien !
D’ailleurs merci de nous le rappeler… on a trop vite tendance à oublier le chemin parcouru par cette technologie galopante ! Mais en ce qui concerne les aspects « complexes et secrets », là, le parcours est moins impressionnant. Ce qui me fascine c’est que ces « machines » qui devraient être « oui/non » : je fonctionne ou je ne fonctionne pas, semblent agitées d’états d’âmes fantasques, un peu comme si elles voulaient nous renvoyer nos propres soubresauts émotionnels ! Les auraient-on façonnées en y semant quelques-uns de nos aléas psychologiques ?
Je précise, mais vous l’aurez deviné, que je ne suis que très modeste utilisateur, un peu accro quand même !
Rédigé par : Camille | 28 octobre 2005 à 08:07